Nos écoles souffrent surtout d'un problème de gouvernance, mais
il semble invisible et passe en permanence sous les radars de
l'information et du débat politique. Un petit voyage entre deux
communes rurales peut parfaitement nous ouvrir les yeux : dans
la première, en Bretagne, on va voir comment le problème central
est parfaitement pointé, avec un peu d'humour caustique, et dans la
seconde, direction Lot et Garonne, on va voir comment on peut le
résoudre.
Tout le monde a entendu parler du classement PISA et sait que la
France recule dans ce comparatif international depuis longtemps. Le
problème majeur n'est sans doute pas dans le savoir-faire
pédagogique, il est probablement dans la gouvernance de notre
système scolaire. Mais cela ne semble pas évident à tout le monde,
personne ne semble comprendre vraiment le sujet ou alors de manière
très partielle. Pourtant les habitants de Plounérin, commune de 735
habitants à l'ouest des Côtes-d'Armor, ont posté une
annonce sur le Bon Coin (!) qui illustre
remarquablement le problème, ils ont posé le doigt au cœur du
sujet.
Un débat idéologique imperméable au réel
Les Républicains posent en partie la question de la gouvernance en
proposant tous de renforcer l'autonomie des établissements scolaires
et le rôle du chef d'établissement. Cela donne lieu à un florilège
de déclarations dans la veine traditionnelle de la droite
bonapartiste, boulangiste et gaulliste que Claude Lelièvre retrace
dans un article
récent du club de Médiapart pour dénoncer « le
culte du chef ». Les lecteurs de Médiapart sont sans doute
tous à gauche, ou presque, et manifestent à l'unanimité dans les
commentaires leur hostilité à cette orientation qu'ils perçoivent
comme autoritaire.
Pour autant, au-delà des intentions idéologiques, personne ne
semble bien percevoir le problème pratique évident de cette
proposition du renforcement du pouvoir du directeur d'école :
peut-être, mais quel renforcement ? L'État peut donner plus de
pouvoir sur le recrutement dans l'établissement et sur l'évaluation
des enseignants, certes c'est possible, auquel cas on va démonter le
rôle de l'inspection académique… Les professeurs ne seront
peut-être pas contre, même s'il y a de quoi en douter quand on a
entendu les arguments de Céline
Alvarez, le jour de la rentrée scolaire sur France-Inter,
qui a surtout imploré que l'on cesse « l'infantilisation »
des enseignants. Et puis surtout, comment les députés Républicains
pourront-ils vraiment donner de l'autonomie au directeur
d'établissement quand les collectivités locales ont la main sur
toute la logistique scolaire de l'établissement ?
Le problème majeur de la gouvernance des établissements scolaires,
c'est qu'il y a deux patrons sous le même toit, le ministère de
l'Éducation Nationale et une collectivité locale, et très peu de
démocratie dans tout cela. C'est simple, massif, énorme ! Mais
le débat idéologique est imperméable au réel.
Bien entendu, il y a une coopération sur le terrain, mais la tension
gestionnaire monte depuis des décennies tant du côté de l'État
que des collectivités locales et, donc, objectivement les motifs de
frottement augmentent. En plus, objectivement, l'activité
pédagogique est de plus en plus dépendante de la logistique
scolaire, c'est particulièrement flagrant avec le développement du
numérique financé par les collectivités locales. Cependant
l'annonce du Bon Coin, publiée par on ne sait pas bien
qui d'ailleurs de Plounérin, rappelle les bases du système
: la commune construit les bâtiments et ensuite le rectorat ouvre
une classe en finançant un poste d'enseignant… ou pas. La surdité
idéologique est une chose, mais les collectivités locales, y
compris les plus petites sont, elles, bien confrontées au réel.
La vassalisation est un piège pour les collectivités et pour l'État lui-même
Les plounérinais protestent sur la RN12 |
Concrètement, les élus de cette modeste commune bretonne de
Plounérin ont cru pertinent d'investir, avec l'argent des
contribuables de la commune, mais cela n'engageait pas le rectorat.
La commune avait le choix des risques : l'insuffisance
potentielle de locaux, ou le surinvestissement, ou tomber juste !
Les fonctionnaires de l'Éducation Nationale aiment beaucoup parler
de partenariat quand ils rencontrent les maires, mais c'est souvent
au-dessus de leurs moyens, la réalité pratique, c'est la
vassalisation des collectivités dont nous ne sortons jamais. Elle a
même été accentuée par l'obligation faite aux collectivités avec
le service minimum d'accueil en cas de grève des enseignants, cette
disposition qui n'a pas été remise en cause après l'alternance est
symbolique d'une re-centralisation. La réforme des rythmes scolaires
de Vincent Peillon s'est ensuite largement enlisée dans ce piège.
Les plounérinais qui ont posté cette annonce persiflent, mais il y
a de quoi être agacé, ils vont supporter une charge très visible
dans leur petit budget communal, et inutilement. Ils ont aussi des
enfants à l'école, alors ils manifestent sur la RN12 à proximité,
ils tambourinent comme ils peuvent puisque les décisions viennent
d'en haut, en l'occurrence de l'inspection académique de Saint
Brieuc. On est dans l'absurde, dans l'énorme perte d'énergie parce
que la gouvernance dysfonctionne et qu'elle reste désespérément
pyramidale. Pourtant à 775 kms de Plounérin (d'après google maps),
un Maire d'une autre petite commune de 500 habitants a trouvé le
moyen de ne pas se faire prendre dans le même piège, en anticipant
pour assurer ses effectifs.
Faut-il renforcer le pouvoir du chef d'établissement ? Les
députés n'y pourront pas grand-chose, et les prises de position
hostiles non plus. Ce qui devrait compter, c'est l'avis de la
communauté autour des enfants : les parents, les enseignants,
les responsables des moyens. L'État gère une partie des moyens avec
des règlements aveugles aussi bien du côté des charges (les
rémunérations des enseignants) que des ressources (la fiscalité et
pratiquement aucun impact du nombre de scolaires sur les dotations
des collectivités) et veut tout commander : c'est incohérent !
L'État n'a plus les moyens d'être le maître de la pédagogie
![]() |
Blanquefort sur Briolance, 500 habitants, dans le Lot-et-Garonne |
Il faut développer de l'intelligence collective avec les parties
prenantes, et faire tomber la frontière qui laisse tout pouvoir en
matière pédagogique à l'État et à ses personnels enseignants. On ne peut pas
motiver la communauté locale autour des enfants en limitant la
concertation à la logistique scolaire, c'est impossible, le système
centralisé actuel commence par parcelliser et réduire autant qu'il
peut les pouvoirs des intervenants auprès des enfants, c'est
insupportable ! Les familles veulent des pédagogies modernes,
des Céline Alvarez qui expliquent ce qu'elles font, pourquoi et
comment.
![]() |
Sophie Gargowitsch, la Maire qui mobilise toute la communauté |
Quand la maire de Blanquefort sur Briolance s'est inquiétée de
maintenir les effectifs scolaires dans sa commune, comment s'y est-elle pris ? Sophie Gargowitsch, la Maire, a tout de suite cherché ce qui
pouvait motiver les parents à scolariser les enfants sur son
territoire, réponse : la pédagogie Montessori ! Elle a
négocié, elle a mobilisé les parents, la commune voisine, un
inspecteur d'académie qui connaissait plusieurs enseignants qui ne
demandaient que cela, une petite opération de crowdfounding par
là-dessus. Résultat : une classe Montessori a ouvert le 1er
septembre 2016 dans une commune de 500 habitants du Lot-et-Garonne,
financée comme n'importe quelle autre classe publique par
l'Éducation Nationale.
En réalité, l'État n'est pas malveillant, il a des structures
autoritaires un peu archaïques, il est souvent contraint de contenir
les pressions contradictoires qu'il subit, mais surtout il est
faible. Il n'a pas en mains les clés de la solution, ce n'est pas
lui qui va d'en-haut animer l'intelligence collective dont on a
besoin autour de chaque école. Bien entendu, dans les rangs de
l'Éducation Nationale il y a des oreilles plus ou moins prêtes à
coopérer, mais à un certain moment il faudra bien se tourner vers
d'autres pratiques, inventer des collaborations nouvelles, engager la
communauté sociale autour de l'école.
Aucun ministre ne pourra venir siffler le début du changement mental
qui conduit à faire collectivement sans attendre qu'un chef le dise.
Que des centaines de Plounérin se lèvent, que des milliers de
Blanquefort sur Briolance s'organisent !