Je
viens, par cet article, expliquer pourquoi j'ai eu l'idée de publier
mes candidatures ici et ailleurs sur les réseaux sociaux. Cela a
l'air saugrenu, j'ai tout de même quelques raisons et j'ai même l'espoir
de vous convaincre qu'elles sont bonnes, voire de vous inciter à faire de même si vous pratiquez une profession comparable à la mienne !
D'abord,
cela pourrait apparaître comme une méthode désespérée. Je
cherche un emploi de dirigeant dans une collectivité territoriale, a
priori plutôt une communauté de communes, j'ai 56 ans et je
constate une énorme différence de taux de retour par rapport à ma
recherche d'emploi de 2009. Il est donc vrai que, effectivement, je
n'ai pas grand-chose à perdre. C'est en même temps l'occasion de
souligner la contradiction flagrante des injonctions sociales qui
disent tout et le contraire : soyez mobiles, travaillez plus
longtemps, l'expérience est fondamentale mais... on ne veut pas de
candidat de plus de 50 ans ! Et, comme il y a le choix, le
formatage s'accentue sur la question de l'âge comme sur bien
d'autres critères.
Le
risque de détricotage de la fonction
Cependant,
ce qui n'est pas faux n'est pas suffisant. Je ne pense pas que
j'aurais imaginé cette démarche sans les particularités de mon
métier, de son contexte et sans une perception personnelle très
engagée de la vie professionnelle. J'ai toujours fait partie de ces
9 %
d'employés engagés dans leur travail, et quand j'ai senti que
cela risquait de ne plus être le cas, j'ai préféré ne pas
renouveler le contrat avec mon dernier employeur. Je partage depuis
longtemps l'idée exprimée par Claude Mahier, fondateur de la Lettre
du Cadre territorial, selon laquelle le poste de directeur général
des services en collectivité devrait être exclusivement
contractuel, et dans tous les sens du terme.
Le
métier de directeur général des services (DGS) est d'abord une
collaboration avec un élu maire ou président et son équipe et une
fonction de direction des services de la collectivité. Ces dernières
décennies, nous avons vu les élus au profil gestionnaire s'affirmer
en même temps et parallèlement à la montée en puissance de la
fonction publique territoriale. Il s'est ainsi construit
silencieusement un déni de réalité de plus en plus encombrant dans
l'articulation entre la légitimité publique de l'élu et
l'invisibilité sociale des professionnels territoriaux. Je me
souviens particulièrement, pour avoir travaillé 2 ans dans une
petite ville du Finistère de 15 000 habitants, Douarnenez, du fiasco
subi par le Maire et par la ville. Le Maire de Douarnenez était un
homme très populaire, largement élu 4 fois de suite, puis battu en
1995 parce qu'il s'était lancé dans une opération audacieuse de
port-musée en s'appuyant exclusivement ou presque sur son équipe
d'élus mais avec une expertise territoriale interne à l'évidence
très insuffisante. Or cet aspect a été constamment gommé du débat
public. Je me souviens surtout de mon dernier emploi de DGS où il
m'est apparu que moins les élus avaient de projet pour leur
collectivité plus il voulait s'affirmer en tant que patron de la
structure municipale. Pour exercer sa fonction, le DGS n'a pas
forcément besoin de beaucoup de visibilité publique mais
l'invisibilité totale des règles du jeu entre les élus et
l'administration au sein de la collectivité porte le risque d'un
détricotage de la fonction du dirigeant des services.
La
transparence due à un emploi public
J'ai
largement développé sur mon blog les travers de l'aspiration
patronale des élus, qui ont la tentation de détourner leur
légitimité politique pour occuper eux-mêmes un pouvoir au sommet
de la pyramide hiérarchique de leur institution locale. Il s'y mêle
la tendance des exécutifs à vassaliser les assemblées, la culture
administrative hiérarchique, la contamination de l'État en général,
et un désengagement démocratique local qui passe sous les radars.
Le fond de ma motivation à publier mes candidatures en collectivité
est là : face à une demande sociétale de plus d'égalité
citoyenne, il ne suffit pas de critiquer les élus locaux, les DGS
doivent eux-mêmes participer à plus de transparence. A ce point de
réflexion, il me paraît raisonnable de sortir mes propres
candidatures de la confidentialité.
Après
tout, les gens ont le droit de savoir, c'est un emploi public, payé
avec l'impôt local. Quand le Président de la communauté bigoudène
du sud (environ 40 000 habitants autour de Pont l'abbé) indique dans
l'offre d'emploi, à laquelle je réponds, que le DGS « assiste
le Président pour la définition des orientations stratégiques »,
on doit bien l'accès à l'information aux bigoudens sur les
compétences et les motivations des candidats à ce poste, non ?
D'autant que la formulation est en soi problématique : j'avoue
que, en tant que candidat, je ne pas connais pas encore à ce jour
les orientations stratégiques de cette communauté de communes,
ce n'est pas forcément encore très important pour moi à ce stade.
En revanche, qui définit ces orientations, au nom de qui ?
Voilà ce qui doit être clarifié ! Soyons clairs, je ne veux
porter aucune incrimination à l'encontre du Président que je ne
connais pas encore ou sur sa communauté, je pense qu'on pourrait
lire ce genre d’ambiguïté sur bien des annonces. L'enfer est dans
les détails, dans ce type d'apparences innocentes que peu de
personnes arrivent à percevoir avec la profondeur suffisante, et
c'est pour cela que je suis un professionnel, c'est pour cela que je
dis qu'il faut en finir avec la confidentialité injustifiée. Il
est, j'espère, facile après ces quelques paragraphes de
développement de comprendre que la publication de ma candidature est
une réponse à un problème et qu'il ne s'agit pas d'une lubie
personnelle.
Je
signale aussi rapidement qu'il n'est pas certain que l'annonce, à
laquelle je réponds, corresponde à une offre réelle. Les plus
avertis du monde territorial savent que nombre d'appels à
candidature sur ce type de poste sont « bidons ». C'est
d'abord critiquable en soi de faire croire qu'on met des candidats en
concurrence quand on a déjà un candidat dans la manche : cela
coûte un peu d'argent, mais surtout cela produit un effet de soupçon
permanent et d'hypocrisie délétère, un jeu d'ombre où le
relationnel se dissimule dans une procédure officielle qui n'existe
que pour les non-initiés. Ce n'est ni transparent, ni égalitaire,
pas vraiment démocratique, mais c'est une pratique courante !
Cette remarque est de portée générale, elle ne concerne pas
davantage mon interlocuteur choisi qu'un autre.
Faire
sortir la démocratie locale de l'institution
Derrière
ce premier pas, il y a d'autres enjeux bien plus importants. Je pense
d'abord à la centaine de fonctionnaires de cette collectivité, et
un peu à tous les autres. Ils vivent dans le système de la fonction
publique territoriale extrêmement pyramidal et hiérarchique,
indifférent à la situation locale. La pression financière qui pèse
maintenant sur les collectivités va surtout impacter la masse
salariale dans les années à venir. Il faut rétablir le lien entre
la population locale et ses collectivités publiques, contrecarrer le
plus vite possible l'isolement social des fonctionnaires, agir
localement pour rompre cet apartheid, cette ignorance organisée
entre les personnels et les usagers. Surtout, ne reproduisons pas le
schéma social de désespérance des grandes entreprises publiques
dans nos collectivités locales. C'est notamment dans cette
perspective-là qu'il convient d'aborder les questions de la
mutualisation des services, des conditions de travail et des
rémunérations. Cessons de ne nous mettre en arrêt devant toutes
les décisions du ciel ministériel, osons parler des emplois
territoriaux à la population locale.
Il
faut que le débat public local s'ouvre, que les relations entre les
citoyens et les collectivités changent, que les questions de
fiscalité locale, de développement de l'économie collaborative
soient mises sur la table, que l'on fasse découvrir la distinction
entre le public et le commun, etc. En un mot, faisons sortir la
démocratie locale de l'institution, voilà pourquoi je ne veux plus
candidater dans la confidentialité.
Mon CV
Post-scriptum du 9/9/2016 : La Gazette des communes m'a appelé et vient de publier un article à la suite de mon texte ci-dessus. On y lit notamment la réaction suivante de Laurent Bacquard du SNDGCT : « La légitimité du dirigeant territorial, du DGS et de son équipe de direction, ne vient que de la relation à l’autorité territoriale, qui elle a été élue ! » Je suis en désaccord profond : la légitimité du DGS (et des territoriaux en général) est professionnelle, et la légitimité des élus est politique. Il ne peut pas y avoir de hiérarchie entre deux légitimités qui proviennent de sources différentes, la relation ne peut être que contractuelle. Premièrement, l'élection ne saurait donner une qualification professionnelle, deuxièmement ce sont les citoyens les commanditaires ultimes.
Je ne suis pas DGS pour défendre une vision pyramidale dans mon propre métier, et pas davantage pour que l'exécutif exerce une fonction employeur dont les citoyens ne savent rien. Le SNDGCT n'a pas demandé un cadrage par la loi sans raison, mais sa position apparaît ambiguë, il me semble évident qu'il doit clarifier.
Il y a une question d'éthique : le DGS est au service de l'exécutif ou au service des citoyens ? Si ce n'est pas la même chose, nous vivons dans la schizophrénie. Si c'est la même chose, la transparence ne devrait pas déranger et donc la confidentialité du recrutement du DGS n'a plus vraiment de raison d'être.
Post-scriptum du 9/9/2016 : La Gazette des communes m'a appelé et vient de publier un article à la suite de mon texte ci-dessus. On y lit notamment la réaction suivante de Laurent Bacquard du SNDGCT : « La légitimité du dirigeant territorial, du DGS et de son équipe de direction, ne vient que de la relation à l’autorité territoriale, qui elle a été élue ! » Je suis en désaccord profond : la légitimité du DGS (et des territoriaux en général) est professionnelle, et la légitimité des élus est politique. Il ne peut pas y avoir de hiérarchie entre deux légitimités qui proviennent de sources différentes, la relation ne peut être que contractuelle. Premièrement, l'élection ne saurait donner une qualification professionnelle, deuxièmement ce sont les citoyens les commanditaires ultimes.
Je ne suis pas DGS pour défendre une vision pyramidale dans mon propre métier, et pas davantage pour que l'exécutif exerce une fonction employeur dont les citoyens ne savent rien. Le SNDGCT n'a pas demandé un cadrage par la loi sans raison, mais sa position apparaît ambiguë, il me semble évident qu'il doit clarifier.
Il y a une question d'éthique : le DGS est au service de l'exécutif ou au service des citoyens ? Si ce n'est pas la même chose, nous vivons dans la schizophrénie. Si c'est la même chose, la transparence ne devrait pas déranger et donc la confidentialité du recrutement du DGS n'a plus vraiment de raison d'être.