mercredi 23 septembre 2015

Emploi public et dotations : cherchez le souverain !


Derrière l'offensive contre le statut et contre le Code du travail, il y en a une autre contre le statut des fonctionnaires. Voilà ce que nous dit Nicolas Braemer dans son article en date du 21 septembre 2015. Cet article intervient aussitôt après la manifestation des maires du 19 septembre contre la baisse des dotations. Faut-il rechercher la protection et dénoncer la régression sociale comme celle des dotations? Ma réponse paraîtra assez décalée par rapport à ce que les acteurs en disent, elle est dans la recherche de puissance réelle quand la crise s'annonce profonde.

Les gestionnaires publics locaux sont aujourd'hui sous l'emprise d'injonctions contradictoires. Ils doivent faire des économies, mais la masse salariale est la dépense principale, elle représente souvent plus de la moitié des charges de fonctionnement, et c'est une dépense qu'il est très difficile de limiter, et même d'empêcher de croître. Quand on réduit les effectifs, non seulement on fait des économies budgétaires mais on modernise des services qui fonctionnent bien souvent nettement mieux après la réduction qu'avant. J'ai tout de même visité quelques services publics pour dire cela et je doute que les gestionnaires me contredisent. La question est de savoir si les effectifs de nos administrations locales sont là pour défendre l'emploi ou pour défendre le budget.
A un certain moment, il va falloir que le Président de l'AMF, par ailleurs ancien ministre du budget, nous dise si son association défend le budget des collectivités locales ou les effectifs des collectivités locales. Et, bien entendu, la même invitation vaut pour le Premier Ministre. Gouverner c'est choisir comme disait P Mendès-France. La contradiction de gestion entre la sauvegarde de l'emploi public local et la réduction budgétaire est massive, il est temps de cesser les diversions et de mettre le plat de résistance sur la table. Pour l'instant, on s'agace et il me semble que les agents territoriaux comme les citoyens ont le droit de savoir ce dont la parole publique ne dit rien.

Emploi territorial et équilibre budgétaire : la contradiction est certaine

La question suivante est de savoir ce que l'on veut faire de la décentralisation. Pourquoi les maires s'adressent-ils à l'État et non pas à leurs concitoyens ? Après tout, les élus locaux sont les représentants des souverains. Mais qui est souverain ? L'État, Bercy, ou les citoyens ?
Bon, je vais poser la question autrement. Faut-il participer au sauvetage de l'emploi avec nos budgets locaux et croire à la sortie du tunnel de la crise nous ramenant vers le plein emploi ? Ou faut-il repenser nos politiques locales en considérant qu'il faut trouver des solutions pour améliorer la vie de nos concitoyens dans nos communes dans un contexte de réduction des revenus salariaux ?

Ce n'est pas aux agents territoriaux de décider, mais le sujet est tellement important qu'il n'appartient sans doute pas aux élus locaux non plus de décider avant d'avoir s'ils sont en phase avec les citoyens qu'ils représentent. Excusez cette évidence, je suppose que nous sommes tous démocrates.

Après avoir essayé d'éclairer la question et ces enjeux, je viens proposer ma réflexion comme une contribution pour déterminer une réponse. Mon idée dominante, je vais la pêcher chez un philosophe, Bernard Stiegler : il est temps de cesser de confondre le travail, un acte créatif avec des mains et des cerveaux, avec l’emploi salarié, une condition sociale de dépendance et de soumission au propriétaire des moyens de production. Au lieu d’ouvrir de nouveaux modèles sociaux où la contribution à la production sociale devrait échapper plus facilement qu'ailleurs au schéma de l’appropriation privée, les collectivités locales sont l’endroit où l’on défend le plus l’emploi salarié.


Les collectivités ne diminuent pas le nombre d'emplois comme l'État le fait, elles continuent à en créer d'après les derniers chiffres dont on dispose. Les plans de réduction de l'emploi tels que celui de Strasbourg Eurométropole font encore figure d'exception.

L'accès à la critique par les citoyens manque

Les uns défendent les acquis appelés dotations auprès de « l’exécutif (national) qui ne rend plus de comptes à personne »( formule de Pierre Rosanvallon la semaine dernière sur Médiapart), les autres défendent l’emploi pour sauvegarder les revenus salariaux et par là-même le salariat. Je n'arrive pas à croire qu'on puisse sortir de nos malheurs croissants dans un système de domination et de protection verticale de plus en plus contre-productif. On ne peut pas admettre la soumission quand on désire la liberté et la démocratie. Je ne peux pas porter dans mon cœur le modèle patronal top/down autoritaire dans les entreprises, voilà pourquoi je regrette que les administrations publiques (prétendument dirigées par des représentants du peuple) soient la caricature de cette anti-démocratie d’une part et que les élus locaux puissent se laisser « empêcher » par des institutions qui ont encore moins de relation démocratique avec la population qu’eux-mêmes.

Les médias font quotidiennement leur miel des contradictions, des dérapages, parfois des excès répréhensibles des élus, mais ils diffusent le lobbying des maires sans la moindre critique. Un jour on dénonce les palais régionaux ou les projets pharaoniques des « roitelets » de province, ces élus locaux parvenus aux allures ridicules de bourgeois gentilshommes, et le lendemain on s’apitoie sur la misère de ces pauvres maires si braves et si démunis...
Je déteste que l’on méprise les élus locaux, mais cependant il est certainement nécessaire qu’il y ait un exercice critique de leur action. Aujourd’hui, ce qui manque le plus, c’est l’accès à la critique par les citoyens - dit autrement, le contrôle démocratique manque, compris sur la question des emplois dans les collectivités. Ce manque échappe en partie à la responsabilité des élus locaux : le code général des collectivités territoriales énonce des règles souvent inadaptées, les tuyaux financiers entre les différents niveaux d’administration sont d’une complexité phénoménale, la fiscalité locale est incompréhensible pour le contribuable et régie par l’État, etc... Cependant les élus locaux ne sont pas indemnes de toute critique.

Les élus locaux n’aiment pas la critique. C’est humain. Ils ont un peu tendance à confondre critique de leur politique et critique de leur personne, et à se comporter en propriétaire perdant trop souvent de vue qu’ils ne sont pas les propriétaires mais seulement les représentants temporaires des propriétaires, c’est-à-dire de vous et moi, citoyens et citoyennes. L'élection ne suffit pas à la démocratie, les élus sont protégés du contrôle des citoyens par un système opaque, mais c’est aussi leur plus profonde faiblesse. Pourquoi les maires ne s’appuient-ils pas sur la population quand ils veulent protester contre l’État ou toute autre puissance quand celles-ci portent atteinte aux intérêts de la commune qu’ils représentent ?  

Le bonheur en démocratie

Qu’est-ce qui doit être bénévole, quel travail doit-on automatiser, quelles contributions doit-on rémunérer par la monnaie ? Voilà de la matière pour le débat public local ! Ce débat-là n'aura pas lieu avec Emmanuel Macron ni avec aucun autre ministre. Pourquoi les maires ne s’appuient-ils pas sur la population quand ils veulent faire vivre leur commune, quand ils veulent protester contre l’État ou toute autre puissance quand celles-ci portent atteinte aux intérêts de la commune qu’ils représentent ? Vont-ils rester longtemps exclusivement tournés vers l'État pour soutenir leurs politiques locales ? Sur le plan financier si exposé devant de la scène, il convient de se rappeler que les collectivités n'ont pratiquement aucun contrôle du circuit de leurs recettes, en dehors de quelques recettes d'exploitation (généralement moins de 10 % du budget). Il est invraisemblable d'avoir le meilleur lien avec le contribuable et de laisser ce contrôle financier à l'État.


Sur la question de l'emploi local, il faut surtout échapper aux dangers du clientélisme et ensuite la question sociale du recul de l'emploi dépasse grandement l'administration locale. Il y a des moyens de créer la rencontre avec les élus locaux, il faut fermer le robinet de la communication publicitaire des collectivités et trouver les moyens du débat public avec des jurys citoyens, avec de la concertation réelle et de la démocratie ouverte(*). Les élus comptent trop sur eux-mêmes, ils n'ont pas à inventer les solutions, ni à porter le poids de terribles suppressions d'emploi, ni à se prendre pour les propriétaires de la démocratie et uniques responsables de l'équilibre budgétaire. Le bonheur en démocratie, c'est de partager avec la population, c'est la souveraineté collective.

Quelque soit la nature de l'enjeu politique, la première force des élus locaux démocrates, c'est la population de la localité.



(*) Certains spécialistes peuvent vous aider, http://www.territoires-hautement-citoyens.fr/  notamment, et d'autres : http://ouishare.net/fr/ , http://www.respublica-conseil.fr/