Connaissez-vous
Céline Alvarez ? Son histoire ne peut laisser indifférent,
cette jeune femme d'à peine 35 ans, montre avec éclat l'incapacité
actuelle de notre société à réagir contre le constat de
dégradation du système scolaire. Qu'y a-t-il de plus important que
nos enfants ? Et pourtant, il ne se passe rien ou presque.
Comment sommes-nous, collectivement, à ce point incapables d'agir ?
Cet article essaie de décrire les soubassements de la crise, comment
est édifiée la démobilisation du citoyen, et pourquoi nos visions
individuelles et parcellisées nous rendent impuissants, c'est la
description d'une anesthésie pour trouver la porte de sortie vers la
démocratie.
Céline
Alvarez est une enseignante entreprenante
qui veut
développer une pédagogie efficace en
intégrant les
connaissances scientifiques
de
notre époque.
Elle s'est
battu pour innover au sein de l'Éducation Nationale,
elle
a créé un site
web, puis un autre
plutôt destiné aux enseignants qui la suivent maintenant en nombre.
Elle mène une vie de combat pour mettre en œuvre une pédagogie en
phase avec ce que peuvent dire les chercheurs et pédagogues les plus
en vue actuellement au niveau international, citons Ken
Robinson et Sugata
Mitra par exemple. Les changements introduits conduisent à donner plus d'autonomie aux enfants et à ouvrir davantage l'école aux parents. Les résultats sont excellents, les parents plébiscitent l'épanouissement de leurs enfants.
Je
ne vais pas entrer ici dans un débat pédagogique, ce n'est pas du
tout ma spécialité, ce que je veux mettre en valeur c'est
l'agrégation des moyens pour construire des solutions collectives.
En fait je vais devoir décrire l'inverse et faire comprendre le
rapport entre notre sentiment de citoyenneté détruite et les
pratiques des institutions publiques qui imposent des services
inadaptés, immobiles, encombrés de leurs contraintes internes.
Cette désagrégation collective réduit les institutions publiques
locales à la gestion de prestations de service et l'expression citoyenne aux nécessités imposées par les institutions loin de
tout débat public global. La chose publique, la République, est
encore une affaire commune certes, mais où le commun des mortels est
condamné à subir, dans la démobilisation et dans l'anéantissement
de tout pouvoir d'agir.
L'éducation
n'est à la fois qu'un exemple et beaucoup plus, tant la symbolique
est forte et tant la République se l'est appropriée. Nous avons
tous une expérience d'élève, plus ou moins éloignée dans le
temps, et presque tous une expérience de parent, mes observations
proviennent d'une autre fenêtre, moins partagée et peu écoutée,
celle de mon expérience de DGS de communes entre 5 et 10 000
habitants. Cette fenêtre offre un éclairage qui croise davantage d'angles sur le monde de l'éducation que celui des médias, des parents ou des
enseignants.
Deux
patrons sous un même toit
Une
part non-négligeable du budget communal est consacrée à l'école
et aux services péri-scolaires. Entre le fonctionnement et
l'investissement, on se situe généralement entre 10 et 30 % du
budget municipal suivant les circonstances locales. La première
grande évidence qui, bizarrement, passe constamment sous la table
des débats, c'est qu'il y a deux patrons sous le même toit
d'école : l'État et la collectivité locale. Bien sûr, tout
le monde le sait, mais vaguement, sans en comprendre réellement les
conséquences. Dit de manière synthétique, le ministère de
l'Éducation Nationale fournit les enseignants et les collectivités
locales tout le reste. A priori, tout le monde entend que l'Éducation
Nationale définit la politique de l'éducation et que les
collectivités locales assurent la logistique : les bâtiments
scolaires, les transports, la restauration scolaire, les temps
d'accueil péri-scolaire, l'entretien quotidien des locaux, les
ATSEM, etc.
Tout
le monde considère que l'enseignement est la première finalité et
que l'État est en conséquence le responsable de la politique
éducative. Mais alors, les collectivités sont-elles autre chose
qu'un fournisseur logistique, ont-elles à avoir une politique
éducative ? Dans ces conditions, est-il nécessaire que le
prestataire soit public ? Après tout, il y a aussi des écoles
sous contrat où le financement des salaires des enseignants et le
contrôle académique sont assurés par l'État, c'est le cas de
nombreuses écoles de l'enseignement confessionnel catholique mais
pas seulement. Et alors ? Et alors, ces écoles coûtent
beaucoup moins cher à la collectivité, même lorsque la commune
accorde une subvention à ces écoles privées. Je me souviens avoir
découvert, à l'occasion d'une intervention de formation, le budget
d'une commune de 2 000 habitants au fin fond des terres
morbihannaises des Chouans qui n'avait qu'une seule école sur son
territoire : pas d'école publique, une école privée, un
bonheur financier !
Ensuite,
la séparation entre l'enseignement et la logistique est moins simple
qu'il n'y paraît. D'abord parce que l'enseignant est dépendant de
la logistique. Rappelons-nous un instant ce qu'avait dit la candidate
Ségolène Royale en 2007 : que les enseignants fassent 35
heures à l'école ! Oui, sauf que cela posait un problème
d'aménagement de bureaux, puisque les enseignants n'ont généralement
pas de bureau, à l'exception du directeur de l'école souvent
déchargé de fonction à temps partiel. Bon nombre de pédagogues
dénonce aujourd'hui l'organisation de l'enseignement sur un modèle
taylorien et fordiste dont la structure des salles de classe est un
des éléments, avant même d'écouter Céline Alvarez qui recommande
le mélange des âges. Il faut ajouter les voyages scolaires, les
simples sorties à la piscine, au musée ou à la médiathèque, à
la charge de la collectivité locale, mais qui constituent néanmoins
des pièces importantes des activités pédagogiques de l'enseignant.
Concrètement, les enseignants sont constamment positionnés en
quémandeurs vis-à-vis des élus locaux.
La
décentralisation est passée aux oubliettes
La
double tutelle qui pèse sur chaque école est en réalité
profondément bloquante. Malgré les principes de la
décentralisation, les collectivités locales exercent une fonction
subalterne dans l'éducation, il ne s'agit en rien d'un partenariat.
Elles ont l'obligation de construire des écoles, des collèges ou
des lycées et c'est le rectorat qui décide d'ouvrir et de fermer
les classes. L'État se contente d'accorder aux collectivités des
subventions pour y faire face, à hauteur des moyens qui dépendent
des contingences du moment, et de payer les enseignants. Ce tableau
décrit l'héritage de la IIIème République
centralisatrice de la fin du XIXème siècle où le
caractère hiérarchique des rapports entre l'État et les
collectivités locales est aussi naturel que l'air qu'on respire.
Toutefois, dans le domaine éducatif, cette hiérarchie a été
réaffirmée postérieurement aux lois de décentralisation, en 2008,
au travers d'une décision tout à fait nouvelle avec la création du
service minimum d'accueil (SMA), une procédure inédite où les
employeurs locaux ont l'obligation de fournir du personnel en cas de
grève des personnels de l'Éducation Nationale. Le débat public
tumultueux autour de ce SMA a fortement mis en lumière les problèmes
des parents pour faire garder leurs enfants, de contournement du
droit de grève des enseignants et on a aussi beaucoup débattu des
taux d'encadrement et des modalités de remboursement aux communes.
Mais le caractère totalement contradictoire avec l'idée même de
décentralisation n'a été discuté par personne et le SMA n'a
pas été remis en cause avec l'alternance politique de 2012.
Nous
sommes entrés progressivement
dans l'ère
de la
guerre larvée des moyens, et
cet angle de vue est devenu prédominant dans tous les domaines des
relations entre l'État et les collectivités.
L'entrée
du numérique à l'école en est une parfaite illustration.
L'importance de l'introduction du numérique dans l'enseignement fait
l'objet de nombreux débats mais il n'échappe à personne. La
séparation des rôles entre le titulaire de la responsabilité
pédagogique et le logisticien local prend une nouvelle dimension
puisque l'informatique, les logiciels et les connexions s'insèrent
littéralement dans le contenu pédagogique. Dans certains cas, les
collectivités prennent des initiatives hardies en introduisant des
moyens qui ont pour effet de modifier substantiellement l'activité
de l'enseignant, comme c'est le cas par exemple à Élancourt
sous l'impulsion de Jean-Michel Fourgous, et ce genre
d'initiative peut avoir un impact d'attractivité sur le personnel de
l'Éducation Nationale.
Le
dernier épisode de cette confrontation des moyens entre les
partenaires publics concerne un accord passé le 30 novembre 2015
entre l'Éducation Nationale et Microsoft. Cet accord
a été très critiqué au regard des principes des marchés
publics et de l'avantage ainsi concédé à une entreprise privée
par rapport au logiciel libre. Encore une fois, dans ce débat qui a
touché de nombreux enseignants, on ne perçoit pas la question de la
« tutelle technique » pour reprendre une terminologie des
années 80. Pourtant la ficelle est grosse, par cet accord l'État
obtient une formation pour ses fonctionnaires sur une
longue série de logiciels très usuels à coût nul, et induit
évidemment une plus forte demande en acquisition de logiciels
Microsoft qui sont à la charge… des collectivités locales !
Au
regard de ces événements, on ne voit pas très bien en quoi la
logistique scolaire peut constituer un objet politique décentralisé,
la dépendance semble au contraire très évidente. En termes
triviaux, ils ne le disent pas, mais les élus locaux sont de fait
les larbins de l'État sans projet politique réel pour leurs
écoles. Pourtant, nous avons assisté à une extension du modèle
« deux patrons sous le même toit » avec ce que l'on a
appelé l'acte II de la Décentralisation, quand JP Raffarin était
Premier ministre. Il y a de quoi se demander comment cela est
possible.
Revenons
à Céline Alvarez.
Lorsqu'elle commence son activité à la rentrée 2011, le maire-adjoint de Gennevilliers « à l'enseignement maternel et
primaire » (le titre est en lui-même à noter) n'est pas
du tout au courant des changements que la jeune enseignante veut
introduire et cela pose tout de suite des problèmes d'intendance. La
lettre
du cadre territorial a raconté ce
parcours où
l'on voit C
Alvarez
qui récuse la qualification pédagogique que l'adjoint au
maire en
donne et R
Merra, l'adjoint en cause, qui souligne, outre le problème d'ATSEM
auquel il a dû faire face d'urgence, les problèmes d'organisation
entre enseignants – lesquels ne devraient théoriquement en rien le
concerner… Le succès aidant, l'élu a été conduit à suivre la
demande des parents. Visiblement la jeune enseignante n'avait pas
bien pris en compte au départ la répartition des rôles (je n'ose
plus écrire des pouvoirs après ce qui précède) entre son
administration académique et la commune, mais elle a brillamment
subverti le système en s'appuyant sur les parents pour s'imposer, ce
qui est tout à fait contradictoire avec les mœurs généralement
admises.
Plus d'égalité dans les rapports sociaux, mais les institutions locales restent vassalisées
La
distinction que j'ai essayé de clarifier jusqu'à présent dans
l'articulation des deux employeurs au sein de l'école, entre la
logistique et l'enseignement, reste encore un peu insuffisante pour
pleinement comprendre la logique des acteurs. Les conseils d'école
sont le seul lieu où l'on met directement en présence la trilogie
des parents, des enseignants et du représentant de la commune. Les
DGS, les directeurs techniques et les responsables de services
concernés ainsi que tous les adjoints expérimentés en charge des
écoles connaissent par cœur la règle suivante : plus il y a
de problèmes scolaires, notamment lorsqu'ils tiennent aux
enseignants, dans une école, plus les questions matérielles
d'intendance prennent de place au conseil d'école et plus le feu se
concentre sur la commune. La pratique montre avec constance que les
enseignants évitent de rendre compte des difficultés pédagogiques
et que la mobilisation des parents par les enseignants pour
revendiquer toutes sortes de petits moyens auprès de la commune
est le dérivatif le plus employé. Il n'y a quasiment pas de
discussion possible avec la hiérarchie de l'Éducation Nationale
au-delà du directeur de l'école, alors restent les élus locaux qui
ont beaucoup de mal à résister aux pressions des parents – que
l'on perçoit assez fréquemment à la mairie comme manipulés par
les enseignants. L'élu lutte contre tout désordre dans les écoles
qui nuirait à la réputation de sa collectivité, même s'il s'agit
d'un problème de rotation de surveillance de la récréation qui ne
relève que du directeur d'école.
Le plus sensible de la collaboration dans l'empire du monstre à deux têtes, c'est la classe maternelle, la cohabitation de l'enseignant et de l'Agent Territorial de Service des Écoles Maternelles (ATSEM). Comme ce vocable d'ATSEM est abscons pour les parents comme pour les enfants, on l'utilise peu en-dehors des enseignants et des territoriaux. En tant que DGS, j'ai souvent eu à lutter avec ces problèmes de vocabulaire en implorant les élus, et parfois même l'adjoint directement concerné, de ne plus parler de « dame de service » mais d'agent municipal ou d'ATSEM, et en reprenant régulièrement les ATSEM pour leur demander de cesser de parler de leur « maître » ou « maîtresse » et de préférer le mot enseignant : « vous n'êtes pas des enfants » leur disais-je, un DGS doit parfois défendre les agents municipaux contre eux-mêmes. Malgré la responsabilité hiérarchique, que ce soit le DGS ou même le responsable du service municipal enfance, l'agent municipal est dans la classe sous le contrôle, de fait, de l'enseignant. On est passé progressivement de la « dame de service » à une implication plus grande des ATSEM pour seconder les enseignants, la pratique a évolué dans un sens plus égalitaire avec le renouvellement générationnel, ce qui répond plus à une évolution sociale que réglementaire.
On
reste cependant loin de l'égalité. Il m'est arrivé plusieurs fois
de participer à des jurys de recrutement d'ATSEM. L'un des
marronniers de l'exercice est de demander à la candidate (les
candidats sont rarissimes) ce qu'elle fait si un parent l'interroge à
la sortie de l'école sur le comportement de l'enfant en classe.
Partout, on enseigne aux ATSEM qu'elles doivent alors adresser les
parents à l'enseignant. Avec une de mes amies, responsable du service
enfance, nous avons questionné plusieurs fois les candidates sur ce
qu'elles pensaient de cette consigne : en vain ! La lucidité que nous attendions, c'est qu'on nous renvoie à l'évidente question
suivante : mais pourquoi les parents posent-ils si souvent la
question à l'ATSEM plutôt qu'à l'enseignant ? Pas sûr pour
autant que nous aurions favorisé l'embauche de la personne qui
aurait fait preuve de lucidité, de trop de lucidité... Il y a eu une évolution, mais la
différence de niveau de formation existe encore et on est rarement
prêt à l'égalité totale entre enseignant et ATSEM dans les écoles.
Il
est vraiment fondamental de comprendre ce schéma, à l'origine nos
agents sont les serviteurs des instituteurs de maternelle et nos collectivités restent
aujourd'hui les petites mains de l'État, l'évolution sociale impacte
davantage la base des agents et des enseignants que le rapport
juridique et institutionnel des pouvoirs publics. La hiérarchie a toujours tendance à parasiter le service qui n'est dû qu'au public, la société évolue vers plus d'égalité sauf les institutions publiques. Un ensemble de
rapports sociaux se sont construits sur le principe de l'évitement
des conflits, tout le monde sert le consensus pour éviter de
recevoir des coups contre lesquels il se sent désarmé. Sans doute
beaucoup de parents voudraient voir des Céline Alvarez arriver dans
l'école de leur(s) enfant(s), mais ils n'ont aucun lieu pour
l'exprimer. Des enseignants veulent suivre le modèle, ils sont les
premiers à avoir conscience des graves imperfections de l'école, il suffit de regarder le documentaire « Etre et devenir »
pour constater que les professeurs sont les premiers à choisir la
déscolarisation pour leurs propres enfants !
La
politique comme leurre
Nous
avons pourtant des adjoints à l'éducation ou à l'enseignement
comme Richard Merra à Gennevilliers, mais aucun à la « logistique
scolaire », le titre ne serait pas assez sexy sans doute… Ou peut-être
serait-ce un intitulé qui nous emmènerait trop directement vers l'interrogation
suivante : est-ce qu'un administratif municipal ne suffirait
pas ? L'apparence de pouvoir n'est pas le pouvoir mais elle
suffit à faire perdre conscience que la politique a sombré en même temps que la démocratie quand le débat public avec le citoyen est anéanti.
Pourtant, y a-t-il sujet politique plus profond que l'éducation de
nos enfants ?
Nous
sommes tous dans une affreuse solitude. Moi-même… Il y a, à peu
près 6 ans, ma fille en avait 5, elle était en moyenne section, et
un beau jour j'entreprends de lui demander qui il y avait dans sa
classe en dehors des enfants. Alors elle me dit : «- la
maîtresse ! - et puis, il n'y a pas d'autre adulte ?
- si, il y a Monique ! - Oui, mais tu m'as dit aussi que la maîtresse s'appelait Françoise, maîtresse c'est un métier,
alors c'est quoi le métier de Monique, elle fait quoi ? - Ah
ben, je ne sais pas ! ». Ce jour-là, ma fille de 5 ans
m'a fait prendre conscience en une minute de quelque chose que je n'avais jamais saisi en quinze ans depuis ma fenêtre de DGS : un enfant de 5 ans a un mot pour
qualifier le rôle du professeur des écoles mais n'en dispose
d'aucun pour qualifier le rôle de l'ATSEM. J'avais découvert le
signal faible, mais imparable et très important : on apprend
par le non-dit dans les classes de maternelle aux petits enfants la
domination comme le rapport normal entre adultes, par l'absence d'un
mot. Jusqu'à ce jour, je n'ai jamais eu l'occasion d'en parler ni à
l'enseignante, ni à l'ATSEM, ni aux autres parents, ni aux élus de
la ville. Bien entendu, je ne reproche absolument rien aux personnes
concernées, néanmoins au fond je ne décolère pas depuis 6 ans
vis-à-vis des professionnels de la pédagogie de l'Éducation
Nationale. Ils me font bien rigoler avec leurs arguments
pédagogiques ! mais jaune : ils n'ont pas vu ce que j'ai
observé ? Ils n'ont rien fait ? Faut-il que notre débat
collectif soit si défaillant pour que ce niveau de conscience ne puisse
jamais faire surface ! La démocratie ne peut pas se faire
uniquement à la fenêtre, le réel échange entre citoyens égaux
nous manque à tous, même aux pédagogues, voilà la cicatrice que
j'en garde.
Maintenant,
pourquoi les choses ne changent-elles pas, et comment peut-on les
faire changer ? Il faut que la conscience civique trouve de
l'espace d'expression, et de la pertinence. Si les
élus servent à assurer un service logistique qui n'a pas besoin de
débat public, alors qu'on les nomme bénévoles avec une médaille
du mérite peut-être, mais qu'on cesse d'y voir une représentation
de la démocratie. Bon alors, que fait-on pour nos enfants ? On
a besoin des copains de Céline Alvarez ou pas ? Si les élus ne
bougent pas, comment va-t-on faire pour que les parents mettent ces
sujets sur la table ? Après tout, pourquoi attendre un
changement de l'Éducation Nationale ? Personne n'y croit, ma
fille aura les cheveux blancs… L'école figure à l'actif de la
commune, il y a plein d'enseignants et sans doute pas mal de parents
qui voudraient autre chose pour leurs enfants, c'est plus que
probable. Il serait sans doute utile de commencer à discuter, parce
que tous les problèmes ne sont pas résolus, loin de là... mais auparavant, il faut définir
ce que l'on veut. La politique en démocratie consiste à dire ce qu'on
veut avant de savoir ce que l'on peut faire ou pas. L'inverse,
c'est le marketing, on vous propose le produit tout prêt que
vous ne désiriez pas forcément… Le marketing, même à des fins de électorale, ne fait pas de la démocratie.
L'éducation est un bien commun en panne de gouvernance locale
La
dernière réforme de l'Éducation Nationale sur les rythmes
scolaires a été un modèle, construit comme un bon produit . Des
experts ont travaillé sur les temps de l'enfant et ont conclu qu'il
fallait diminuer la durée de la journée scolaire et donc augmenter
le nombre de jours. Et finalement, on a réussi à augmenter
l'horaire hebdomadaire sans baisser la durée quotidienne hors domicile des enfants
dont les deux parents travaillent. Avec le SMA, Nicolas Sarkosy avait
fait passer un message non-dit, et comme toujours ce type de message
est très puissant : la priorité c'est de libérer les parents
salariés pour ne pas perturber les employeurs et leur chiffre
d'affaires, donc il faut garder les enfants à tout prix et c'est
bien plus important que le contenu pédagogique (ou pas) de la journée
scolaire. Le message est clair, garder les enfants est prioritaire sur le temps de cerveau disponible nécessaire à l'apprentissage.
Et donc, l'État a demandé aux collectivités de s'investir pour
répondre au problème démontré par les chronobiologistes, sans
moyens supplémentaires ou avec le minimum. Et puis les enseignants
ont aussi leurs petites revendications catégorielles. Finalement,
ont primé dans l'ordre : l'organisation du temps de travail des
parents, le temps de travail des enseignants, puis le temps des
enfants. En résumé, il s'agissait de répondre aux rythmes des
besoins de l'enfant mais en sachant que les rythmes des adultes sont
prioritaires, ce que malheureusement le ministre, les parlementaires
et les juristes avaient oublié de signaler. Ah bon, l'État fait de
la politique sans analyser les rapports de force ? A croire
qu'il n'y a pas que les élus locaux à connaître un problème avec la
réalité politique...
Bon,
alors si l'État a fait ses preuves en matière de calendrier
scolaire, que fait-on sans lui ? Est-ce qu'on peut organiser une
école hors de l'Éducation Nationale ? Pourquoi pas si la commune coopère
puisqu'elle dispose de tous les moyens matériels, d'une partie du
personnel ? Combien de parents, combien d'élèves ? On a
tout localement, sauf le traitement des enseignants, ce n'est pas la
plus grosse part, mais tout de même… On peut négocier (1) avec
l'État ? pas facile, mais pourquoi pas ? Mais qui sera
l'employeur des enseignants ? Est-ce qu'il y aura encore deux
employeurs sous le même toit ou un seul ? Est-ce que ce sera la
commune, ou est-ce que les parents auront une place ? Et quels
enseignants, que proposeront-ils ?
L'éducation
est un bien
commun : c’est une ressource avec
des enseignants qui ont un savoir-faire,
les
parents et les enfants peuvent faire communauté, mais
la structure de gouvernance ne fonctionne pas au niveau de la
communauté locale parce que nous attendons anesthésiés la décision en regardant le ciel ministériel. Il
faut sortir de nos univers mentaux d'affreuse solitude et d'imploration auprès de puissances lointaines et construire
de la gouvernance, faire
du débat public, de l'ouverture démocratique avec les forces locales qui sont là avec leurs atouts et leurs limites, et se
réapproprier ensemble l'univers
perdu des biens communs. Nos enfants valent bien cela.
(1) Post-scriptum du 29 août 2016 : j'ai écrit dans cet article que les élus locaux ne dénoncent jamais la parodie de décentralisation en matière d'éducation, sous-entendu qu'ils renoncent systématiquement de s'impliquer dans la pédagogie. J'ai découvert hier qu'un maire avait franchi le rubicond, avait négocié et, surprise, le rectorat l'a bien accueilli. L'exemple de l'action de Sophie Gargowitsch, maire de Blanquefort-sur-Briolance, est à méditer !
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