L'association
des dirigeants territoriaux et anciens de l'Inet a ouvert l'année
dernière les ETS à Isaac Getz pour parler de
l'administration
libérée, et sa présidente Claude
Soret-Virolle a invité, au
travers d'une interview de la Gazette des communes, à interroger
« l'intégralité du mode de management » comme le rare
moyen de donner du sens aux contraintes financières. Est-ce
que ce nouveau type de management proposant un fonctionnement plus
engagé de ses membres par une réduction drastique de la hiérarchie
peut être envisagé dans les collectivités locales ? Il
y a de sérieux obstacles, mais je
pense qu'il
faut absolument essayer de les dépasser. Mon choix de professionnel
territorial est fait : ce sera cela
ou rien d'autre ! Découvrons
les caractéristiques majeures
de
cette révolution managériale avant
d'essayer de jauger
sa pertinence au regard des spécificités du secteur territorial.
L'administration
publique locale est sous la pression de deux événements
importants : la baisse des dotations de l'État entamée en 2014
et la refonte de l'intercommunalité qui regroupera au 1er
janvier 2017 la quasi-totalité des communes françaises en un peu
moins de 1 300 EPCI. Cette modification de la carte intercommunale
est faite de fusions de communauté, parfois même de fusions de
communes (25
fusions concernant 130 ex-communes dans le Maine-et-Loire au 1er
janvier 2016), d'inévitables
ajustements de compétence et de schémas de mutualisation des
services. Dans un contexte bousculé comme jamais, est-il pertinent
d'en ajouter une couche en introduisant une ambition supplémentaire
de rénovation managériale ? On
se concentre sur les économies, mais
comment faire de réelles économies :
pressurer les organisations certes,
mais avec
les
reconfigurations commencent immédiatement
des
problèmes de râteaux hiérarchiques : un seul DGS à la place
de deux ou trois, l'un va-t-il devenir l'adjoint (frustré ?) de
l'autre, et le problème se répète en
cascade
à tous les échelons…
Le monde sans pyramide hiérarchique
Alors,
« administration libérée », de quoi s'agit-il ?
Je viens de suivre le
mooc
innovation managériale après une lecture attentive du livre de
Frédéric Laloux, Reinventing
organizations, je
vais essayer d'expliquer l'essentiel. Dans
le principe, cela consiste à supprimer le pouvoir du DGS à
donner des ordres, et à écrouler toute la pyramide hiérarchique
parce qu'il y a d'abord un constat sociétal général, impitoyable,
qui concerne aussi bien les entreprises que les administrations :
le salariat est malade, les gens n'aiment pas leur travail. Ils s'y
ennuient, ne se sentent pas reconnus, ils en ont ras-le-bol ! Vous
ne saviez pas ? C'est incroyable, beaucoup de gens ne savent
pas : les médias n'en parlent pratiquement jamais ( le
documentaire intitulé « le
bonheur au travail » diffusé sur Arte le 24 février 2015
a pourtant eu un énorme succès !), les responsables politiques et
publics, en tous cas, ont l'air encore moins informés que les
autres. Le Président de la Cour des comptes, Didier Migault, qui
réclame le respect des 1607 heures par an ou le candidat à
l'élection présidentielle le plus populaire de France par exemple,
Alain Juppé, n'ont pas l'air au courant. Écoutez Isaac Getz, c'est
très amusant et cela donne tout de suite l'impression d'être plus
informé que les grands décideurs de ce pays :
Le
premier gaspillage massif,
c'est la démotivation des salariés, Isaac Getz nous amuse
beaucoup
en
décrivant sans pitié ce que nous connaissons tous. L'humour est
souvent la première étape de
la prise de conscience. Quel énorme gaspillage, nous
le savons tous, on
rit parce que nous sommes encore sous la pression du tabou au lieu de nous occuper sérieusement de ce désengagement,
qui est pourtant, hélas, solidement documenté : les sondages
Gallup sont récurrents et implacables. Quelques entreprises dans
le monde, et même en France, ont rompu avec le modèle hiérarchique
et ont décidé de cultiver la motivation de leurs salariés. Il y a
même un ministère belge qui s'est lancé dans cette aventure.
Attention,
il n'est pas question de motiver les gens, mais de cultiver leurs
motivations personnelles, c'est plus qu'une nuance, c'est une rupture
pour entrer dans un autre monde.
Auto-gouvernance
organisée
Les
entreprises qui se sont engagées dans cette voie ont connu des
réussites exceptionnelles. Mais est-ce applicable dans nos
administrations locales ? Avant de nous intéresser aux facteurs
particuliers de nos collectivités locales françaises, essayons de
regarder d'un peu plus près ce qu'on sait des expérimentations. La
première condition pour réussir ce genre d'innovation, c'est la
présence d'un dirigeant convaincu et très engagé dans cette
rénovation managériale où l'empowerment est la clé de voûte :
le dirigeant renonce radicalement au pouvoir de donner des ordres, il
soutient au contraire en permanence la capacité d'agir des membres
de l'organisation. Qu'il s'agisse d'une entreprise industrielle,
d'une entreprise de services infirmiers ou même… d'une
administration publique belge. Frédéric Laloux analyse cela sous
toutes les coutures : le soutien du conseil d'administration ?
Utile, nécessaire même pour la pérennité de la rénovation, mais
pas déterminant... L'adhésion des cadres et des agents
d'exécution ? L'étude des expériences dit systématiquement
qu'elle n'est pas spontanée mais qu'elle ne constitue finalement
jamais un blocage. Jamais, même si une minorité d'employés
(jusqu'à 15 % dans certains cas) quitte l'entreprise parce
qu'elle supporte mal la perte du confort d'avoir un chef qui dit ce
qu'il faut faire et comment. La dimension de l'entreprise ?
Nenni derechef, l'abolition de la hiérarchie fonctionne aussi bien
dans une entreprise avec des milliers de salariés que dans une TPE !
Donc
d'abord le cadre dirigeant. Il n'est pas supérieur, il reconnaît
l'égalité intrinsèque de
tous les membres de l'organisation, il doit
avoir une bonne connaissance de lui-même et
renoncer totalement à dissimuler sa personnalité. Jean-François
Zobrist va
parler directement à
tous les ouvriers de la PME picarde FAVI au
moment de la crise de 2008 : il dit ses
incertitudes, l'entreprise
est
ébranlée, elle
est en danger.
Michel
Sarrat (GT Location) exprime aussi
ses doutes quand
il supprime le poste de DRH,
etc. Le terme
même de
dirigeant devient
ambigü, c'est
un leader
humble,
qui assume un rôle de coach en interne et qui peut assurer d'autres
rôles comme n'importe quel autre « collègue » de
l'entreprise. Il
garde toutefois
le rôle
d'ambassadeur
et
le rôle de penseur
d'une
vision
de l'avenir de
l'entreprise qu'il doit animer avec ses collègues.
Ensuite,
dans cette nouvelle école du management, on parle de « lâcher
prise ». Il s'agit de faire confiance aux gens qui travaillent,
à leurs capacités d'analyse, d'adaptation et d'initiative. Pas de
contrôle, même pas de budget, seulement une obligation d'avis.
Imaginez, l'agent technique chargé de la voirie qui déciderait
lui-même l'achat d'un équipement de plusieurs centaines de milliers
d'euros ! Oui, oui, c'est ce qui peut se passer dans des
organisations de ce type. L'agent n'aurait qu'une obligation, celle
de consulter tous ses collègues impactés par cette acquisition,
l'initiateur étudie, consulte et tranche out seul ! Le pouvoir
repose sur la compétence, en l'absence de tout contrôle
hiérarchique, et en dehors de toute considération de statut. La
compétence peut en revanche être discutée par n'importe quel
collègue. Bien entendu pas de pointeuse, pas d'objectifs à
atteindre, l'auto-gouvernance est généralisée. Suppression de
toutes les rémunérations horaires, mensualisation généralisée.
Vous pouvez même amener votre chien au bureau, si vos collègues
impactés par la présence du toutou sont d'accord. Il paraît que
les animaux sont déstressants et de bons vecteurs de sociabilité…
Un autre monde que celui que nous connaissons, c'est clair. Le
basculement est une épreuve pour tout le monde, en particulier pour
l'encadrement !
Aspiration démocratique et égalité
Troisième
caractéristique qui ne surprendra pas : la transparence. Le
pouvoir hiérarchique repose bien souvent sur la rétention de
l'information, il n'en est évidemment plus question. Et cela ne
s'arrête pas à la transparence formelle à propos de données
objectives, techniques et financières, puisque l'on va prendre aussi
en considération ses collègues, leurs motivations, leurs
contraintes et leurs aspirations qui ne s'arrêtent pas forcément au
cadre de l'entreprise ou de l'administration. Ainsi, par exemple, les
fonctionnaires belges des affaires sociales ont-ils massivement
choisi de télé-travailler en raison du temps de transport entre le
domicile et le bureau. Il s'agit de cultiver la plénitude de tous
les collaborateurs. Ils ont choisi, décidé, ils n'ont pas attendu
un guide
d'accompagnement de la mise en œuvre du télétravail dans la
fonction publique approuvé par une instance supérieure.
La
dernière dimension de ce management réinventé et libéré, c'est
la focalisation sur la raison d'être de l'entreprise ou de
l'administration. Quand il y a un chef et des gens qui obéissent, il
y a l'horizon de l'entreprise et l'horizon des employés. Pour
beaucoup, l'horizon se résume à un salaire pour revivre le soir dès
qu'on franchit la porte de la boîte, comme le persifle Isaac Getz.
Avec la raison d'être, on dépasse le salaire et le profit, il y a
une aventure collective, tant pour Morning Star, cette entreprise
californienne qui fait du concentré de tomate, que pour Buurtzorg
qui fait des soins infirmiers à domicile aux Pays Bas. L'aventure
collective engage tous les salariés et même la relation avec les
fournisseurs et les clients : ces entreprises ont en commun d'avoir
beaucoup personnalisé leur process et d'avoir beaucoup innové. Et
si on le sait encore si peu, si les décideurs semblent aussi
ignorants de ces questions fondamentales de ce management, ce n'est
pas qu'ils soient mal intentionnés ou insuffisants
intellectuellement, c'est que la raison d'être ne se quantifie pas,
ne se mesure pas et donc ne se contrôle pas. Il n'y aura jamais
de procédure ascendante d'évaluation des oligarchies, cela ne
servirait de toute façon à rien puisque l'oligarchie est une raison
d'être acquise et atteinte par elle-même.
Sans
doute est-ce cette question de la raison d'être qu'il faut
positionner au premier plan pour essayer de penser ce que nous
pourrions faire dans nos collectivités locales de France. Isaac Getz
ne manque jamais de mettre en avant l'égalité intrinsèque :
par-delà les métiers, les savoir-faire et les techniques que chacun
d'entre nous met en œuvre dans différents rôles, il s'agit de
reconnaître que nous sommes tous égaux. Même s'il y a un monde
entre Isaac Getz, professeur à l'ESCP de
Paris, et Jacques Rancière, philosophe, ancien élève de Louis
Althusser et auteur du « Maître ignorant », on aurait du
mal à trouver une
réelle différence de fond entre les deux sur ce postulat
fondamental. Dans
un bureau municipal ou communautaire, on connaît très bien cette
situation :
quand on a fait le point sur tout ce que l'on sait à propos d'une
décision délicate, et même sur tout
ce
que l'on ne peut
pas
savoir davantage, il ne reste que les incertitudes, les risques et la
subjectivité de chacun pour
y faire face.
Si l'on ne connaît pas cela dans l'instance de décision collective,
c'est que la démocratie n'y existe pas. Dans
la réalité, la décision consiste à se séparer de possibilités
pour l'avenir en en choisissant une seule,
l'exercice du pouvoir est inconfortable et le simple partage est un
soulagement, assez loin du pouvoir fantasmé qui n'est un plaisir que
dans l'apparence. Souvent
d'ailleurs, dans les circonstances fortes où les décisions pèsent,
il est demandé aux cadres territoriaux
présents
d'exprimer leur avis subjectif, même
si leur choix ne compte
pas quand l'arbitrage donne
lieu à un vote :
ce sont des moments d'égalité, de
respect pour les convictions et les doutes individuels où
n'importe quel jury bien informé par l'expertise disponible ne
ferait ni mieux, ni plus mal.
L'idée
démocratique de notre époque est anti-autoritaire, anti-top/down,
anti-jacobine, elle
ne
porte pas de convergence consensuelle mais la nécessité de
reconnaître la puissance de
la
communication latérale. Le gouvernement comme
le
management par la domination nous
pèsent, en vérité nous les trouvons
insupportables, chacun de nous aspire à être reconnu avec
l'intelligence
indissociable de la
sensibilité personnelle.
La
surveillance et le contrôle par la hiérarchie sont des dénis de
notre être, au-delà
des savoir-faire professionnels inégaux, le postulat est que nous
sommes tous des êtres subjectifs
égaux.
Nous voulons la liberté, le partage des connaissances et la
préservation de notre environnement et des communautés auxquelles
nous appartenons.
Pourquoi
une
collectivité locale serait-elle autre chose qu'une entreprise de
démocratie ? Le
premier souci que nous avons est de savoir qui est le dirigeant de
l'administration locale… un sujet déjà maintes fois évoqué dans
ce blog. Nous avons un problème de bicéphalite dans nos
collectivités avec le Maire ou le Président et le Directeur Général
des Services (DGS), l'un a la légitimité politique et l'autre la
légitimité professionnelle, mais la distinction n'est pas
explicite. Le problème, c'est que les règles sont écrites hors de
l'organisation locale par un Code Général des Collectivités
Territoriales (CGCT) qui est la règle supérieure de nos
collectivités, « le
Parlement est bien en matière d'administration régionale et locale,
le seul pouvoir « constituant » institué » comme
l'écrit FX Aubry. : autrement dit, la
décentralisation a été octroyée mais nos
collectivités locales non constituées par elles-mêmes restent
un faux-semblant démocratique puisque la loi fondamentale
n'est pas définie par les ressortissants locaux mais par les
parlementaires si ce n'est le Gouvernement. La collectivité publique
obéit à l'État avant d'obéir au peuple local. Rappelons qu'avant
la Révolution, les communes fondées au Moyen-âge reposaient sur
des chartes et que l'idée même des communs, qui refait surface ces
dernières années, repose sur l'auto-gouvernance.
Un chef hiérarchique qui ne l'est plus dès que le patron diminué prend sa place
L'État
interfère dans la gouvernance locale, nous ne sommes pas sortis de
l'absolutisme étatique parachevé par Napoléon Bonaparte, il se
réserve sur la commune « les droits d'un maître qui peut
retirer ce qu'il a donné », les pouvoirs qu'il a « sur
ses communes sont juridiquement illimités » (FX Aubry).
Ainsi avons-nous, concrètement, un statut de la fonction publique
territoriale imposé par l'État qui installe une hiérarchie, sans
lien direct avec les métiers, qui concerne aussi bien le dirigeant
que les cadres et les autres agents. Les
méfaits du système
patronal
de
nos collectivités locales
sont innombrables parce
que les
élus n'ont ni
la légitimité professionnelle, ni
la réelle
maîtrise
de
la
gestion
financière.
Du
côté des recettes, il y a plus de 60 ressources différentes,
dotations ou compensations qui représentent la moitié des recettes
dont les élus locaux dépendent
sans contrôle de
l'évolution. Ensuite, il y a des recettes fiscales administrées par
les
services fiscaux
de l'État qui
détestent rendre compte aux collectivités locales,
le
Trésor public qui
tient le compte bancaire,
il
reste le vote des taux avec
des options
de manœuvre de
répartition assez
limitées et environ 10 % de recettes d'exploitation de
services
qui n'ont généralement
pas
vocation à la rentabilité… Du
côté des dépenses, la masse salariale absorbe plus de 50 %
des dépenses avec des
règles de la fonction publique définies
par l'État. J'ai souvent usé moi-même des termes de patron pour
parler du Maire et de chef pour parler du DGS que
j'étais,
je ne suis pas sûr que le second degré ait toujours été bien
compris… La
réalité : nous avons un patron très diminué et un chef
hiérarchique des services qui ne l'ai plus dès que le patron
diminué prend sa place.

L'éducation
est le cas le plus évident. Les écoles sont un démembrement avec
des personnels enseignants sous la maîtrise de l'État et toute la
logistique scolaire sous l'autorité de la collectivité locale. En
tant que DGS, il m'est arrivé quantité de fois de rappeler aux
agents des écoles qu'ils étaient au service des enfants et de leurs
parents et non au service des enseignants ou de l'Éducation
Nationale. L'instauration du service minimum d'accueil m'a tout de
même déjà donné tort, puisque la collectivité locale doit
fournir du personnel en fonction du taux de grève parmi les
fonctionnaires enseignants de l'État… Mais, ne nous perdons pas
dans les détails. Comment peut-on travailler sur la raison d'être
d'une école quand on a deux employeurs différents et permanents
sous le même toit ? Est-ce que la logistique peut constituer en
soi une raison d'être motivante au même titre que l'activité
d'enseignement ? Nous sommes-là dans une caricature de
hiérarchie, puisqu'il y en a deux qui cohabitent, l'une étant un
démembrement de l'autre. Cela va être assez difficile d'expliquer
qu'on supprime toute hiérarchie au sein des personnels de l'école,
ce n'est pas le genre des inspecteurs d'académie !
"Réintroduire de la diversité dans notre pensée politique"
Mais
pourquoi ne pas
imaginer de sortir l'éducation des enfants des institutions
publiques
locales ? De
faire un commun avec une gouvernance associant les acteurs
concernés : élèves, parents, enseignants et autres
personnels, propriétaires des locaux, etc. On pourrait commencer par
un voyage au lycée
ESBZ de Berlin, c'est ce qu'ils font – avec d'excellents
résultats… C'est
ce que font les écoles privées en général, catholique ou pas (il
y a aussi les écoles Montessori, Steiner, Diwan, etc) avec un
contrat d'association ou pas. La collectivité locale pourrait sortir
les charges (personnel et bâtiment) et ressources (quelques produits
d'exploitation et recettes fiscales) de son budget en partie ou en
totalité ou pratiquer par subvention comme une école privée. En
revanche, il n'est pas possible a priori de défiscaliser les
ressortissants de la commune en fonction des suppressions de postes
de l'Éducation Nationale… Les enseignants issus de l'Éducation
Nationale sont les premiers à déscolariser leurs enfants, nul ne
peut contester que l'éducation est une question à la fois
individuelle,
familiale
et sociale
importante.
Cela devrait faire l'objet d'un débat public local intéressant avec
de nombreux aspects, dont le financement par l'impôt local et
national.
Il
est d'abord important de distinguer entre ce que l'on fait sur le
territoire : du commun autogouverné ou du relais local de la
puissance publique ? « Nous
devons réintroduire de la diversité dans notre pensée politique.
C’est ce que les communs tentent de faire, non pas contre le marché
ou l’État,
mais à côté, avec des porosités possibles entre les 3 sphères »
dit Valérie Peugeot.
A
un moment où l'on va nous proposer, très probablement, de
généraliser la cohabitation deux règles d'emploi dans les
collectivités locales, comme on l'a fait dans les entreprises
publiques où l'on trouve des fonctionnaires et des contractuels sous
le régime général, il est forcément
important de se poser la question de la raison d'être de nos
collectivités territoriales : qu'est-ce qui est communautaire ?
Les routes, les installations de télécommunications, les écoles,
les équipements de sports et de loisirs, l'urbanisme, l'adduction
d'eau ?
Peut-être peut-on
s'accommoder pour certains services publics d'une fonction relais de
l'État, comme pour l'état-civil, la logistique des écoles, les
crèches ? Mais, à ce moment-là, faut-il des élus pour
accomplir des tâches d'intérêt public au nom et en collaboration
avec
l'État ? En tous cas, identifier ce
qui doit relever de l'auto-gouvernance locale et ce qui doit relever
d'institutions publiques sous contrôle d'État mérite certainement
une
réflexion
des
citoyens.
Le
premier principe de
l'organisation libérée, entreprise ou administration, c'est
l'auto-gouvernance. Il ne peut pas y avoir de territoire avec une
gestion commune, en auto-gouvernance, avec une fiscalité et un
Trésor Public, qui tient le compte bancaire, administrés par
l'État, ce n'est pas possible. En revanche, on peut envisager de
créer une monnaie locale… La question du développement d'une
administration libérée amène donc à des questions tout à fait
fondamentales sur la nature de nos communes et de nos établissements
publics de coopération intercommunale. La démocratie locale a
besoin de discerner ce qui relève du communautaire, de l'État et du
secteur privé.
Nous
n'arriverons pas à libérer nos administrations locales du modèle
hiérarchique autoritaire sans reposer les questions fondamentales
relatives au sens de leur légitimité politique. Il s'agit non
seulement de souligner que « la démocratie ne peut se
réduire aux élections » comme le dit fort justement Jo
Spiegel, mais il faut reconsidérer la nature de ce qu'elles gèrent
sous le contrôle ou en partenariat avec d'autres institutions
publiques ou en pleine autonomie. Le rapport entre la fonction
politique des élus locaux et le management de l'administration
locale est dans les réponses qui seront apportées à ces questions.
Une équipe élue priorisant la fonction de relais institutionnel
sera peu encline à aller vers une administration libérée alors
qu'une équipe municipale orientée essentiellement vers sa fonction
d'animatrice du débat public des citoyens (cf l'interview de Sabine
Girard dans La Lettre du Cadre) sera plus disposée à rechercher
une administration auto-organisée, sans hiérarchie. En collectivité
locale, il faut d'abord que les élus prennent de la distance avec la
position patronale, aussi longtemps qu'ils se représenteront
eux-mêmes en décideurs en se positionnant au sommet de la
hiérarchie, on en restera aux termes d'un statut et de l'obéissance.
A partir du moment où on recherche l'expression d'une décision
commune au nom des citoyens du territoire, on peut entrer dans
l'auto-organisation aussi bien dans le rapport aux citoyens que dans
le rapport aux personnels de l'administration.
Le
plus grand travers de l'État français, c'est de déverser du
chloroforme sur toutes les contradictions sociales. C'est comme cela
que l'on arrive à un système autoritaire sans autorité. Si l'on
veut de la démocratie, autant dans le travail de l'administration
que dans les choix publics, il faut que chacun puisse s'exprimer
librement et que les contradictions soient exposées et arbitrées
dans un système transparent que chacun puisse comprendre et
admettre.
On
ne fera pas disparaître le CGCT et le statut de la fonction publique
territoriale d'un coup de baguette magique, mais on peut assécher
une large partie la portée des règles qui s'imposent à la
collectivité locale. On
peut très bien, par exemple, supprimer des emplois, créer des
sociétés publiques locales de service, et surtout s'appuyer sur sa
base de légitimité quand on est un élu. On peut mobiliser un jury
populaire et toute la population, et
contre une administration d'état si
c'est nécessaire. Il
y a plus de marge d'action dans le rôle
de community
organizer que dans le
port de l'écharpe tricolore. Pour
libérer l'administration, il faut entrer en démocratie et cela ne
peut pas se faire à moitié.
Sortez
de l'emploi formaté !
Entrer
en démocratie, c'est perdre à la fois la tutelle et la protection,
c'est se dire qu'il n'y a pas d'autre sécurité que ses collègues
ou ses concitoyens. Il faut évidement cesser de cacher la gestion du
personnel municipal et intercommunal derrière des écrans de
complexité juridique fumeuse. Je me souviens d'un entretien
d'embauche où l'on m'a questionné sur la question du reformatage
d'un service. Temps que nous sommes dans un système où les
processus n'ont pas atteint l'optimum et qu'il faut faire avec une
baisse de ressources financières, il faut privilégier la
suppression des emplois. Si la priorité est donnée à la baisse de
la masse salariale, le directeur général organise la suppression
des postes, et il vaut mieux mettre en place une organisation
performante d'autant que la suppression de postes aboutit à la
remise des fonctionnaires au Centre de gestion. La réponse n'a pas
ravi le collègue territorial du Centre de gestion qui était là en
tant que membre du jury. Quelque temps après, j'ai appris par un
consultant de la région que j'avais peu de chance d'obtenir le poste
parce que cela arrange plutôt le Centre de gestion de placer un
collègue déjà en place dans son département. C'est ce qu'il s'est
passé, peut-être est-ce une coïncidence, peu importe, l'essentiel
c'est qu'il faut sortir des apparences, des compromis sans rigueur et
sans arbitrage. Il y a des effets de système, supprimer des emplois
peut mettre en difficulté le centre départemental de gestion si la
méthode essaime ! Mais le DGS ne peut que dire où est
l'intérêt de la collectivité si sa priorité est réellement une
baisse de la masse salariale. Que l'on prenne la question scolaire,
la rationalisation d'un service, surtout s'il s'agit d'un service
mutualisé à l'échelle intercommunale, il n'y a pas de solution
solide, pérenne et efficace sans mise en cause des rôles, surtout
quand on doit faire face à une crise. Un jour peut être les centres
de gestion diront qu'il faut faire les recrutements par les collègues
plutôt que par les élus et que les offres d'emploi formatées ne
servent pas les employeurs… peut-être.
La
communication latérale est poussée par la culture numérique, et ce
n'est pas une question de transparence uniquement
c'est aussi
et surtout un enjeu d'efficacité pour
innover constamment dans un monde complexe où les systèmes
hiérarchisés n'arrivent pas à être agiles, c'est-à-dire souples
et rapides pour répondre aux problèmes posés. Je
suis candidat pour manager une
administration allant dans cette direction, mon
CV est à
disposition, ainsi
que le dernier test de personnalité
effectué (MBTI).
Contractuel, à temps plein, à temps partiel, ou prestataire, peu
importe : qu'il s'agisse d'aider
les démocrates, n'importe quels démocrates, seulement les
démocrates ! Mais y a-t-il des
territoires candidats ?
Les principales
sources utilisées pour rédiger cet article :
« La
décentralisation contre l'État », FX Aubry, Éditions LGDJ
1992.
« Reinventing
Organizations – vers des communautés de travail inspirées »,
F Laloux, Éditions Diateno, 2015.