On
va encore dire que j'ai des idées exotiques, mais enfin à force de
stagner dans le conformisme on finit par se laisser emporter dans de
profonds désordres pour aboutir à de vraies crises sociales. Voilà
donc que Les Républicains, ces aimables libéraux qui n'ont jamais
véritablement décrochés du bonapartisme, teintés de colbertisme
et de gaullisme dans le meilleur des cas, veulent mettre en pièces
la fonction publique territoriale. Je défends l'abolitionnisme du
statut de la fonction publique territoriale avec des raisons et
surtout des perspectives totalement différentes du discours ambiant
qu'il soit pro ou anti-fonctionnaires.
La
première chose que je dois dire, en préalable, d'avant d'entrer au
cœur du sujet, c'est que j'ai exercé à plusieurs reprises et
longuement en temps qu'agent public contractuel et donc non
statutaire. Je me souviens avoir été licencié sans aucun motif, ce
qui été admis par une cour d'appel administrative qui m'a fait
bénéficier en préjudice moral d'une indemnité inférieure à mes
frais de justice. S'il y a une chose qui a été longuement
scandaleuse dans le secteur public français, au-delà de cette
anecdote personnelle, c'est la situation des agents dits
non-titulaires. Théoriquement, il y a un code du travail pour tout
le monde – sauf quand ce n'est pas le cas, et notamment en raison
des juridictions administratives. L'Union Européenne a contraint à
la réduction les désordres, puisse-t-elle aller jusqu'à la
destruction de la particularité française des juridictions
administratives. La justice européenne n'a jamais fait semblant de
militer pour autre chose.
Non-remplacement
d'un fonctionnaire sur deux : une logorrhée inepte
Le
premier grand tort de la fonction publique territoriale, c'est sa
complexité. Un immense bidule avec des filières jamais à jour des
nouveaux métiers, des grades qui valident des modalités archaïques
de management qui n'ont plus de sens, des modalités de concours qui
donnent le pouvoir à des gens qui ne sont pas les mêmes que ceux
qui recrutent, des régimes de prime aussi variés que fantaisistes.
La liste est longue, les points communs à tout cela : un
centralisme de conception et un égalitarisme de façade. Mais une
application décentralisée et des inégalités problématiques. On a
bien un système règlementeur, mais il faut le comprendre dans sa
composition lacanienne : de règles menteur.
Voilà
donc que « Les
Républicains
veulent
enterrer le statut de la fonction publique territoriale »,
ils
en veulent aux rigidités et aux emplois garantis à vie. Il y a un
mélange de fantasmes et de
récupération
habile quand Nicolas Sarkosy dit qu'il veut « les
mêmes contrats que pour les salariés ».
En fait, quand on voit
la liste des changements intervenus au 1er
janvier 2016 avec
le décret 2015-1912 en
application des directives européennes, on a guère d'autres choix.
On
nous annonce surtout qu'on veut pratiquer comme dans les entreprises
publiques : on ne touche pas au statut des fonctionnaires
titularisés, mais on n'embauche plus que des salariés. Ces propos
sont tenus avec une platitude déconcertante quand on sait la
désespérance qui a régné, et qui règne encore, dans ces
entreprises présentées en modèle que sont France Télécom/Orange
et la Poste notamment. Des
3 fonctions publiques, la
territoriale est la plus nombreuse, la moins qualifiée et la
moins rémunérée – autrement dit, la plus faible, et donc la
première attaquée. Le taux d'absentéisme y est très élevé et
surtout très ascendant, c'est
le signe qui ne trompe aucun spécialiste : cette
FPT est d'ores-et-déjà minée de l'intérieur par la désespérance,
par
le
manque de reconnaissance sociale.
Ce
n'est pas l'insistance de la Cour des comptes, qui ne fait
qu'emboîter le pas des tribunaux administratifs dans cette affaire,
pour
dénoncer les temps de travail annualisés inférieurs à 1607 heures
qui arrange les choses. Quand on sait le nombre d'énarques placardés
payés à ne rien faire 3 à 5 fois ce que coûtent ces pauvres
agents de catégorie C de plus de 50 ans ballottés dans des
procédures médicales interminables pour aboutir à des indemnités
d'invalidité de misère, on ne peut qu'être révolté par
l'organisation d'une stratégie du pourrissement des statistiques et
des cœurs, c'est
absolument honteux. Cela
dépasse en réalité tout à fait le discours de LR, c'est l'œuvre
de la fusion de ladite haute administration et des politiques.
Et
alors, donc, Nicolas Sarkosy propose le couteau aveugle d'un
remplacement sur deux départs à la retraite. Je vais traduire aussi
franchement que je le pense : c'est une invitation à reproduire
le système stupide de l'État dans le contexte encore plus complexe
des collectivités locales. Franchement, quoi de plus désespérant
pour un manager que cette logorrhée politicienne ? Combien de
managers territoriaux ont été agacés par un de ces élus amateurs
persuadé qu'il suffisait de mettre une tête derrière un bureau
pour en remplacer une autre et que cela réglait le problème… Ah
oui, mais non ! le redéploiement, c'est un peu plus compliqué
que cela, il y a des compétences, des restructurations, des
problèmes de cohérence, de formation et de continuité
organisationnelle. En réalité, les politiciens savent tous que la
mise en œuvre est infiniment plus complexe que leur discours
simpliste qui ne donne concrètement qu'un cadre global chiffré.
Mais Sarko et ses copains s'en foutent, ils ont pour cap un chiffre
et un égal mépris dans le déficit d'explication pour les
fonctionnaires que pour les citoyens. Du moment que vous entrez
l'oreiller dans la valise, ils sont contents.
Désespérément
imperméables aux idées démocrates basiques
Alors,
parlons du volume de la valise. L'essentiel
reste que l'État
réduit les dotations et qu'il y a une
contradiction évidente
entre
cette réduction financière
et
le maintien du statut puisque la masse salariale constitue
l'essentiel des charges de fonctionnement. De
ce point de vue là, LR a le mérite du minimum de cohérence qui ne
semble pas affleurer au PS.
Tout
cela, c'est du gribouille. Le vrai
problème, c'est
la responsabilité employeur dans la fonction publique, lequel
ne
se
pose
pas
exactement
le
même façon
dans
chacune des 3 fonctions publiques. Pour
en rester à
la fonction publique territoriale, il y a un risque de renforcement
du
rôle patronal des élus locaux
qui
est déjà très excessif aujourd'hui et qui pose de nombreux
problèmes. La
FPT nous protège moins qu'on le croit, ou qu'on nous
le
dit, du clientélisme. Évidemment
le mode de recrutement actuel
des non-titulaires est une porte béante
aux dérives clientélistes.
Les
élus sont
là pour représenter les électeurs, pas
pour
être des patrons. A priori, ils ne sont pas recrutés pour leurs
compétences
managériales et
ils ne sont pas élus pour cela. Ou alors cela pose un problème de
cohérence, mais a priori un corps électoral n'est pas un jury
professionnel de
recrutement même
si les candidats ont parfois la tentation de confondre représentation
politique et marketing
en mettant en avant des critères de
CV dont
les contenus n'ont tout de même pas été labellisés par les
hiérarchies administratives. Les
élus qui s'improvisent chef de service ou chef d'administration sont
un problème récurrent,
beaucoup de
ces élus du suffrage universel semblent
moins investis par la fonction représentative que par la fonction
patronale.
Comme
le Maire a effectivement juridiquement le pouvoir patronal, nous
avons nombre de fonctionnaires timides qui n'arrivent pas à affirmer
leur responsabilité professionnelle de manager. Il est maintenant
courant que de nouveaux élus arrivent au lendemain d'une
alternance électorale
avec cette
ferme intention de s'imposer à l'administration, convaincus
de son incompétence et
de sa prégnance trop importante dans le bilan du mandat précédent,
avec l'idée d'être eux-mêmes les dirigeants et de se positionner
au sommet de la hiérarchie. La
confrontation est
difficile parce que
les responsables du management et des services attendent des
orientations politiques qui leur paraissent soit illisibles, soit
totalement absentes. Les choses sont rarement toutes noires ou toutes
blanches, généralement
grises, mais
le fait est cependant
que moins les élus pensent
en terme de
représentativité de leurs concitoyens plus ils sont centrés sur le
patronal, ce qui n'est pas acceptable en démocratie.
Les
choses sont assez simples pourtant,
c'est aux citoyens
qu'il revient de décider. La
seule règle démocratique fondamentale, c'est la sanction collective
prise par ceux auxquels la règle s'applique. Ce n'est aujourd'hui le
cas ni des agents territoriaux qui vivent sous le régime
hiérarchique qui repose sur le statut de la fonction publique, ni le
cas des citoyens contribuables qui ne sont invités qu'à la
profération de la vindicte sans aucun accès réel au choix
politique. Le
plus gros défaut des
propositions des LR, c'est
qu'elles
sont enfermées
dans un bonapartisme pitoyable. Moi,
je pense, aussi exotique que cela paraisse, que s'il y a des
décisions stratégiques à prendre pour le personnel de la
collectivité locale celles-ci reviennent aux citoyens, pas aux élus.
Faisons
de la question du revenu et
des principales conditions
contractuelles des
agents publics une question de débat public local. Utilisons
les données pour connaître les revenus de la population et
ses conditions de travail et
celle
des
agents des collectivités, cherchons un consensus social, regardons
s'il y a des sujétions particulières qui doivent être pris en
compte, c'est
ça la démocratie. Bien sûr que l'avenir de la fonction publique territoriale est problématique, mais pourquoi personne ne songe à tourner vers les citoyens ?
Un
élément essentiel du problème de la gestion des personnels de nos
collectivités locales provient d'une dérive peu démocratique du
positionnement des élus : ils ne sont pas là pour diriger une
structure administrative, ils sont là pour représenter les
électeurs, pour
porter le débat public plutôt que pour le craindre.
Pour veiller à ce que la volonté des électeurs soit faite, pas
pour décider
par eux-mêmes quoi que ce soit, et finir par se
prendre pour le bon dieu.
Les
Français n'ont pas plus peur du face-à-face que les autres
Un
système bureaucratique national pour organiser les services d'une
démocratie décentralisée, c'est une aberration logique. Je ne peux
absolument pas défendre le statut de la fonction publique
territoriale : en temps que démocrate, c'est simplement
impossible. Ce raisonnement invalide évidemment toute approche
bureaucratique, y compris le principe du non-remplacement d'un
fonctionnaire sur deux ! Il
dénonce aussi l'apologie des évaluations du mérite individuel, un
archaïque contresens autoritaire pour améliorer la qualité du
service public. Je
les entends déjà les critiques de ceux qui ne veulent pas
comprendre
depuis que les jacobins l'ont emporté sur les girondins :
« mais
il faut bien faire quelque chose ! »
Oui, il faut choisir : soit une solution autoritaire étatiste,
soit porter le débat sur les ressources et sur les coûts de
l'administration locale auprès des électeurs de chaque
collectivité. Arbitrer
dans la transparence et l'ouverture, accepter les différences
d'opinion ou tout au moins les comprendre, développer l'assertivité,
c'est cela la démocratie.
Si
on choisit la seconde solution, avant de savoir que c'est impossible,
on découvrira des choses insoupçonnées. Je peux tout de même en
révéler une. Elle est immanquable, incontournable, et aussi
évidente qu'ignorée : si on doit conserver, comme le suggère
Nicolas Sarkozy, quelques fonctions sous un statut public très
protégé de tout risque de clientélisme dans la gestion locale,
pourquoi pas, avec un management cohérent et efficace pour affronter
l'un des problèmes de gestion locale les plus profonds de notre
société, on ne doit certainement pas y loger les enseignants !
Sauf à considérer que l'État reprenne la gestion complète des
écoles et à garder un système centralisé, ce qui est tout de même
une proposition aux frontières de l'absurde au regard de la
situation actuelle de l'État. L'école est le parfait exemple du
choix qui doit être fait entre l'étatisme, et la démocratie
décentralisée où le face-à-face doit émerger pour gérer
collectivement la mutation de la perte du monopole des enseignants
sur le savoir d'une part et pour négocier un nouveau partage entre
le privé et le communautaire (qui n'est pas forcément le public)
d'autre part.
On
nous a appris dans les grandes écoles (à sciences-po) que les
Français ne supportent pas le face-à-face, c'est faux. C'est l'État
contrôleur, désespérément centralisé et autoritaire, qui ne
supporte pas la confrontation sociale, exactement comme l'Église
catholique interdit le sexe à ses plus proches serviteurs depuis des
siècles, tétanisée qu'elle reste par la peur du secret des alcôves
hors de son contrôle.
Merci Monsieur Fillatre, ça fait plaisir de vous lire !
RépondreSupprimerJe suis un attaché territorial placardisé malgré un état de service jugé très satisfaisant par la quasi totalité de mon public cible mais plus par le Roi, Patron de tout et de rien, qui correspond jusqu’à la caricature à ce que vous dénoncez. Les élus ne sont plus du tout à leur place, en sont parfaitement conscients, et, pire, écartent tous ceux - j'en fais partie - qui osent dénoncer cette façon de faire...
La chape de plomb qui en résulte, l'ambiance dégardée, la promotion des bienpensants obéissants est insupportable et charge de conflits plus virulents encore, le "diviser pour mieux régner" devient la règle maîtresse...etc
Je suis extrêmement pessimiste pour la suite, car même si j’œuvre dans un territoire extrêmement compliqué et caricatural de ce point de vue , je mesure à quel point les évolutions négatives sont rapides en la matière et seront accélérées par la volonté de diminuer le nombre de fonctionnaires dans un contexte de raréfaction de l'argent public.
Bien à vous,
Cordialement,
Heureusement, le cas que vous décrivez n'est pas général. Mon objet est plutôt de dire que, même lorsque cela se passe bien, la décision appartient aux citoyens (en l'occurrence, cette notion est plus large que celle des citoyens clients du service). Naturellement, on imagine mal traiter les questions individuelles des agents sans délégation, mais a priori la délégation devrait se faire à un professionnel.
SupprimerCe qui est en jeu, dans la période actuelle, c'est surtout la question de l'arbitrage entre l'appel à l'impôt ou l'endettement et la masse salariale parce que l'équilibre financier est affecté par des décisions prises essentiellement par l'État. Mais il serait bon de ne pas toujours prendre l'électeur pour la 5ème roue du char.