jeudi 10 mars 2016

Les idées de LR sur la Fonction Publique Territoriale et surtout les idées que LR n'a pas !

On va encore dire que j'ai des idées exotiques, mais enfin à force de stagner dans le conformisme on finit par se laisser emporter dans de profonds désordres pour aboutir à de vraies crises sociales. Voilà donc que Les Républicains, ces aimables libéraux qui n'ont jamais véritablement décrochés du bonapartisme, teintés de colbertisme et de gaullisme dans le meilleur des cas, veulent mettre en pièces la fonction publique territoriale. Je défends l'abolitionnisme du statut de la fonction publique territoriale avec des raisons et surtout des perspectives totalement différentes du discours ambiant qu'il soit pro ou anti-fonctionnaires.
La première chose que je dois dire, en préalable, d'avant d'entrer au cœur du sujet, c'est que j'ai exercé à plusieurs reprises et longuement en temps qu'agent public contractuel et donc non statutaire. Je me souviens avoir été licencié sans aucun motif, ce qui été admis par une cour d'appel administrative qui m'a fait bénéficier en préjudice moral d'une indemnité inférieure à mes frais de justice. S'il y a une chose qui a été longuement scandaleuse dans le secteur public français, au-delà de cette anecdote personnelle, c'est la situation des agents dits non-titulaires. Théoriquement, il y a un code du travail pour tout le monde – sauf quand ce n'est pas le cas, et notamment en raison des juridictions administratives. L'Union Européenne a contraint à la réduction les désordres, puisse-t-elle aller jusqu'à la destruction de la particularité française des juridictions administratives. La justice européenne n'a jamais fait semblant de militer pour autre chose.

Non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux : une logorrhée inepte

Le premier grand tort de la fonction publique territoriale, c'est sa complexité. Un immense bidule avec des filières jamais à jour des nouveaux métiers, des grades qui valident des modalités archaïques de management qui n'ont plus de sens, des modalités de concours qui donnent le pouvoir à des gens qui ne sont pas les mêmes que ceux qui recrutent, des régimes de prime aussi variés que fantaisistes. La liste est longue, les points communs à tout cela : un centralisme de conception et un égalitarisme de façade. Mais une application décentralisée et des inégalités problématiques. On a bien un système règlementeur, mais il faut le comprendre dans sa composition lacanienne : de règles menteur.
Voilà donc que « Les Républicains veulent enterrer le statut de la fonction publique territoriale », ils en veulent aux rigidités et aux emplois garantis à vie. Il y a un mélange de fantasmes et de récupération habile quand Nicolas Sarkosy dit qu'il veut « les mêmes contrats que pour les salariés ». En fait, quand on voit la liste des changements intervenus au 1er janvier 2016 avec le décret 2015-1912 en application des directives européennes, on a guère d'autres choix.
On nous annonce surtout qu'on veut pratiquer comme dans les entreprises publiques : on ne touche pas au statut des fonctionnaires titularisés, mais on n'embauche plus que des salariés. Ces propos sont tenus avec une platitude déconcertante quand on sait la désespérance qui a régné, et qui règne encore, dans ces entreprises présentées en modèle que sont France Télécom/Orange et la Poste notamment. Des 3 fonctions publiques, la territoriale est la plus nombreuse, la moins qualifiée et la moins rémunérée – autrement dit, la plus faible, et donc la première attaquée. Le taux d'absentéisme y est très élevé et surtout très ascendant, c'est le signe qui ne trompe aucun spécialiste : cette FPT est d'ores-et-déjà minée de l'intérieur par la désespérance, par le manque de reconnaissance sociale.
Ce n'est pas l'insistance de la Cour des comptes, qui ne fait qu'emboîter le pas des tribunaux administratifs dans cette affaire, pour dénoncer les temps de travail annualisés inférieurs à 1607 heures qui arrange les choses. Quand on sait le nombre d'énarques placardés payés à ne rien faire 3 à 5 fois ce que coûtent ces pauvres agents de catégorie C de plus de 50 ans ballottés dans des procédures médicales interminables pour aboutir à des indemnités d'invalidité de misère, on ne peut qu'être révolté par l'organisation d'une stratégie du pourrissement des statistiques et des cœurs, c'est absolument honteux. Cela dépasse en réalité tout à fait le discours de LR, c'est l'œuvre de la fusion de ladite haute administration et des politiques.
Et alors, donc, Nicolas Sarkosy propose le couteau aveugle d'un remplacement sur deux départs à la retraite. Je vais traduire aussi franchement que je le pense : c'est une invitation à reproduire le système stupide de l'État dans le contexte encore plus complexe des collectivités locales. Franchement, quoi de plus désespérant pour un manager que cette logorrhée politicienne ? Combien de managers territoriaux ont été agacés par un de ces élus amateurs persuadé qu'il suffisait de mettre une tête derrière un bureau pour en remplacer une autre et que cela réglait le problème… Ah oui, mais non ! le redéploiement, c'est un peu plus compliqué que cela, il y a des compétences, des restructurations, des problèmes de cohérence, de formation et de continuité organisationnelle. En réalité, les politiciens savent tous que la mise en œuvre est infiniment plus complexe que leur discours simpliste qui ne donne concrètement qu'un cadre global chiffré. Mais Sarko et ses copains s'en foutent, ils ont pour cap un chiffre et un égal mépris dans le déficit d'explication pour les fonctionnaires que pour les citoyens. Du moment que vous entrez l'oreiller dans la valise, ils sont contents.

Désespérément imperméables aux idées démocrates basiques

Alors, parlons du volume de la valise. L'essentiel reste que l'État réduit les dotations et qu'il y a une contradiction évidente entre cette réduction financière et le maintien du statut puisque la masse salariale constitue l'essentiel des charges de fonctionnement. De ce point de vue là, LR a le mérite du minimum de cohérence qui ne semble pas affleurer au PS.
Tout cela, c'est du gribouille. Le vrai problème, c'est la responsabilité employeur dans la fonction publique, lequel ne se pose pas exactement le même façon dans chacune des 3 fonctions publiques. Pour en rester à la fonction publique territoriale, il y a un risque de renforcement du rôle patronal des élus locaux qui est déjà très excessif aujourd'hui et qui pose de nombreux problèmes. La FPT nous protège moins qu'on le croit, ou qu'on nous le dit, du clientélisme. Évidemment le mode de recrutement actuel des non-titulaires est une porte béante aux dérives clientélistes.
Les élus sont là pour représenter les électeurs, pas pour être des patrons. A priori, ils ne sont pas recrutés pour leurs compétences managériales et ils ne sont pas élus pour cela. Ou alors cela pose un problème de cohérence, mais a priori un corps électoral n'est pas un jury professionnel de recrutement même si les candidats ont parfois la tentation de confondre représentation politique et marketing en mettant en avant des critères de CV dont les contenus n'ont tout de même pas été labellisés par les hiérarchies administratives. Les élus qui s'improvisent chef de service ou chef d'administration sont un problème récurrent, beaucoup de ces élus du suffrage universel semblent moins investis par la fonction représentative que par la fonction patronale.
Comme le Maire a effectivement juridiquement le pouvoir patronal, nous avons nombre de fonctionnaires timides qui n'arrivent pas à affirmer leur responsabilité professionnelle de manager. Il est maintenant courant que de nouveaux élus arrivent au lendemain d'une alternance électorale avec cette ferme intention de s'imposer à l'administration, convaincus de son incompétence et de sa prégnance trop importante dans le bilan du mandat précédent, avec l'idée d'être eux-mêmes les dirigeants et de se positionner au sommet de la hiérarchie. La confrontation est difficile parce que les responsables du management et des services attendent des orientations politiques qui leur paraissent soit illisibles, soit totalement absentes. Les choses sont rarement toutes noires ou toutes blanches, généralement grises, mais le fait est cependant que moins les élus pensent en terme de représentativité de leurs concitoyens plus ils sont centrés sur le patronal, ce qui n'est pas acceptable en démocratie.
Les choses sont assez simples pourtant, c'est aux citoyens qu'il revient de décider. La seule règle démocratique fondamentale, c'est la sanction collective prise par ceux auxquels la règle s'applique. Ce n'est aujourd'hui le cas ni des agents territoriaux qui vivent sous le régime hiérarchique qui repose sur le statut de la fonction publique, ni le cas des citoyens contribuables qui ne sont invités qu'à la profération de la vindicte sans aucun accès réel au choix politique. Le plus gros défaut des propositions des LR, c'est qu'elles sont enfermées dans un bonapartisme pitoyable. Moi, je pense, aussi exotique que cela paraisse, que s'il y a des décisions stratégiques à prendre pour le personnel de la collectivité locale celles-ci reviennent aux citoyens, pas aux élus. Faisons de la question du revenu et des principales conditions contractuelles des agents publics une question de débat public local. Utilisons les données pour connaître les revenus de la population et ses conditions de travail et celle des agents des collectivités, cherchons un consensus social, regardons s'il y a des sujétions particulières qui doivent être pris en compte, c'est ça la démocratie. Bien sûr que l'avenir de la fonction publique territoriale est problématique, mais pourquoi personne ne songe à tourner vers les citoyens ?
Un élément essentiel du problème de la gestion des personnels de nos collectivités locales provient d'une dérive peu démocratique du positionnement des élus : ils ne sont pas là pour diriger une structure administrative, ils sont là pour représenter les électeurs, pour porter le débat public plutôt que pour le craindre. Pour veiller à ce que la volonté des électeurs soit faite, pas pour décider par eux-mêmes quoi que ce soit, et finir par se prendre pour le bon dieu.

Les Français n'ont pas plus peur du face-à-face que les autres

Un système bureaucratique national pour organiser les services d'une démocratie décentralisée, c'est une aberration logique. Je ne peux absolument pas défendre le statut de la fonction publique territoriale : en temps que démocrate, c'est simplement impossible. Ce raisonnement invalide évidemment toute approche bureaucratique, y compris le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux ! Il dénonce aussi l'apologie des évaluations du mérite individuel, un archaïque contresens autoritaire pour améliorer la qualité du service public. Je les entends déjà les critiques de ceux qui ne veulent pas comprendre depuis que les jacobins l'ont emporté sur les girondins : « mais il faut bien faire quelque chose ! » Oui, il faut choisir : soit une solution autoritaire étatiste, soit porter le débat sur les ressources et sur les coûts de l'administration locale auprès des électeurs de chaque collectivité. Arbitrer dans la transparence et l'ouverture, accepter les différences d'opinion ou tout au moins les comprendre, développer l'assertivité, c'est cela la démocratie.
Si on choisit la seconde solution, avant de savoir que c'est impossible, on découvrira des choses insoupçonnées. Je peux tout de même en révéler une. Elle est immanquable, incontournable, et aussi évidente qu'ignorée : si on doit conserver, comme le suggère Nicolas Sarkozy, quelques fonctions sous un statut public très protégé de tout risque de clientélisme dans la gestion locale, pourquoi pas, avec un management cohérent et efficace pour affronter l'un des problèmes de gestion locale les plus profonds de notre société, on ne doit certainement pas y loger les enseignants ! Sauf à considérer que l'État reprenne la gestion complète des écoles et à garder un système centralisé, ce qui est tout de même une proposition aux frontières de l'absurde au regard de la situation actuelle de l'État. L'école est le parfait exemple du choix qui doit être fait entre l'étatisme, et la démocratie décentralisée où le face-à-face doit émerger pour gérer collectivement la mutation de la perte du monopole des enseignants sur le savoir d'une part et pour négocier un nouveau partage entre le privé et le communautaire (qui n'est pas forcément le public) d'autre part.
On nous a appris dans les grandes écoles (à sciences-po) que les Français ne supportent pas le face-à-face, c'est faux. C'est l'État contrôleur, désespérément centralisé et autoritaire, qui ne supporte pas la confrontation sociale, exactement comme l'Église catholique interdit le sexe à ses plus proches serviteurs depuis des siècles, tétanisée qu'elle reste par la peur du secret des alcôves hors de son contrôle.


2 commentaires:

  1. Merci Monsieur Fillatre, ça fait plaisir de vous lire !

    Je suis un attaché territorial placardisé malgré un état de service jugé très satisfaisant par la quasi totalité de mon public cible mais plus par le Roi, Patron de tout et de rien, qui correspond jusqu’à la caricature à ce que vous dénoncez. Les élus ne sont plus du tout à leur place, en sont parfaitement conscients, et, pire, écartent tous ceux - j'en fais partie - qui osent dénoncer cette façon de faire...

    La chape de plomb qui en résulte, l'ambiance dégardée, la promotion des bienpensants obéissants est insupportable et charge de conflits plus virulents encore, le "diviser pour mieux régner" devient la règle maîtresse...etc

    Je suis extrêmement pessimiste pour la suite, car même si j’œuvre dans un territoire extrêmement compliqué et caricatural de ce point de vue , je mesure à quel point les évolutions négatives sont rapides en la matière et seront accélérées par la volonté de diminuer le nombre de fonctionnaires dans un contexte de raréfaction de l'argent public.

    Bien à vous,

    Cordialement,

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    1. Heureusement, le cas que vous décrivez n'est pas général. Mon objet est plutôt de dire que, même lorsque cela se passe bien, la décision appartient aux citoyens (en l'occurrence, cette notion est plus large que celle des citoyens clients du service). Naturellement, on imagine mal traiter les questions individuelles des agents sans délégation, mais a priori la délégation devrait se faire à un professionnel.
      Ce qui est en jeu, dans la période actuelle, c'est surtout la question de l'arbitrage entre l'appel à l'impôt ou l'endettement et la masse salariale parce que l'équilibre financier est affecté par des décisions prises essentiellement par l'État. Mais il serait bon de ne pas toujours prendre l'électeur pour la 5ème roue du char.

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